27 : 02 : 12

Notre vie, ce sont aussi les institutions

L'organisation de l'Etat semble indifférente. Pourtant,  sentant un formidable décalage entre le peuple et ses dirigeants, nos candidats (présidentielle 2012, France) proposent des réformes à la marge, de manière à sembler réformateurs et soucieux de démocratisation (référendums).

 Il est temps de proposer de vraies réformes structurelles d'ensemble. Pourquoi ignorer les questions de fond ? Pourquoi ne pas accompagner le basculement vers les sociétés des spectateurs-acteurs ?


L’avantage et l’inconvénient du choix démocratique est qu’il suppose l’évolution, les perfectionnements constants et l’esprit critique. Aucun système n’est parfait et tous, même excellents à un moment donné, ont tendance à se pervertir et se nécroser. Voilà ce qu’il en est de la cinquième République française. Nul étonnement alors à ce que chacun en appelle à des rafistolages divers de circonstance. Mais si nous repensions l’ensemble ?

Quel système constitutionnel ? Le système auquel finalement les Français semblent assez attachés, raillé souvent comme une sorte de monarchie constitutionnelle, est celui dirigé par un Président de la République révocable qui joue le rôle de stratège, d’arbitre, de recours, de porte-parole international. Le président fait le lien (comme tout l’Etat) du local au mondial. Sous sa direction, le Premier ministre développe la politique choisie, répond techniquement aux besoins de l’heure, fédère les énergies en réformant dans la concertation. Dans ce sens, l’aspect « chef d’équipe », celui qui permet la diversité des avis et des initiatives puis tranche, est probablement la version actuelle de ce que le Président doit être (et pas un « omni-président » qui devient forcément un « omni-incompétent »). Il s’agit de gérer efficacement l’usage des temps différents de l’impulsion, de la concertation et des débats, de la décision. Du respect des compétences et de la curiosité des points de vue. D’ailleurs, le général de Gaulle lui-même s’était entouré de personnalités fortes et variées (André Malraux, Léopold Sédar Senghor, Georges Pompidou…) dont il écoutait les avis. Un Président « normal » ?

Le pays a cependant aussi besoin d’une clarification de son fonctionnement à tous les étages, car chacun est en crise. Au niveau local, la commune ou l’intercommunalité doivent constituer des niveaux essentiels de décision de proximité (avec référendums d’initiative populaire qui profitent des nouvelles possibilités d’Internet). C’est au niveau local que se réveilleront les réflexes citoyens auxquels toutes les générations aspirent. C’est au niveau local que pourra s’opérer la conjugaison des générations contre le bourrage de crânes perpétuel de l’impuissance, ne créant que la rage, la frustration et le désespoir. Dans le dialogue local-global, le réveil du local est ainsi l’échelon fondamental, la première étape. Celui sur lequel chacune et chacun a prise, son univers « visible » directement.

Il est nécessaire aussi de consolider des régions fortes qui portent des pôles d’excellence en réseau avec une vraie pensée de l’aménagement du territoire. L’émiettement administratif français (cantons, conseils généraux…) est nocif car, non seulement il coûte mais affaiblit les régions. Quant à l’Etat central, il régule, coordonne (aménagement du territoire en pôles d’excellence répartis), impulse, aide à porter le local vers le continental et le mondial. Ce sont des réalités stratifiées.

Par le réveil du local, nous sortirons ainsi les citoyens du sentiment de dépossession de leur devenir. Nous pourrons valoriser les initiatives sans tomber dans le sentiment d’une invisibilité, d’une fracture générationnelle, d’une trahison des médias et d’un personnel politique totalement coupé des réalités quotidiennes de la population. A l’autre bout, il est nécessaire de renforcer la gouvernance continentale (ne serait-ce que pour la régulation des échanges) et d’organiser clairement une gouvernance mondiale quand les questions de circulations financières, de commerce, de changements climatiques, de pollutions, de migrations, de catastrophes, de disparition des énergies fossiles… dépassent les frontières. C’est aussi la question d’un comportement éthique planétaire minimal.

Mais revenons à la France. Notre République, pour plus d’efficacité, mériterait également quelques réformes de clarifications courageuses et pas seulement des bricolages à visée électorale. Osons des propositions. Comme le pensait Raymond Barre, l’élection d’un Président pour 7 ans non renouvelable permettrait de développer vraiment une politique et un programme, à condition d’allonger la durée de l’assemblée (pour éviter des cohabitations paralysantes). L’Assemblée nationale devrait devenir ce qu’elle annonce : une Assemblée de l’ensemble du peuple à la proportionnelle intégrale. Cela supprimerait l’aberration de courants de pensée très importants par le nombre de sympathisants (comme le Front national ou les écologistes) sans groupe parlementaire ou même sans député faute d’accords électoraux –déni démocratique. Le Sénat devrait, lui, au contraire, être élu au suffrage universel tous les 9 ans pour représenter les territoires. Nous aurions ainsi un bicamérisme clair et sûrement un renouvellement du personnel politique (avec l’interdiction du cumul et une limite d’âge à 75 ans).

Nous sentons bien le malaise actuel. Il résulte de deux sentiments profonds : l’impuissance et l’injustice. Par certains aspects, il est très spécifique à notre pays. Il est temps d’oser et de réveiller la France.

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04 : 02 : 12

SORTIR DE LA CRISE GRACE A L'EDUCATION ET A LA CULTURE !

Soutenez ce texte sur www.gervereau.com (contact), il est d'expression collective dans un contexte de débats utiles pour affirmer priorités et valeurs :


La crise est là, certes, nous le savons. L’argent public se raréfie. Le moral des Français est dans les chaussettes. Mais, quand nous regardons sur le terrain la somme des bonnes volontés, des énergies, de l’inventivité, des actes gratuits généreux, nous avons le sentiment de chances gâchées, d’un peuple dont on a tué l’espoir et l’énergie pour le jeter dans la résignation et la frustration. Pourtant, l’économie ne relève pas seulement de mesures techniques, elle dépend en grande partie aussi de psychologie sociale. Voilà pourquoi l’intuition de François Hollande sur l’envie du futur à redonner à la jeunesse est fondamentale pour contrer cette « fracture générationnelle » --que je dénonçais dès 2005-- en bâtissant une vraie conjugaison des générations.

Quoi faire alors pour l’éducation et la culture ?

Tout ne relève pas de dépenses supplémentaires mais d’objectifs clairs, de confiance à redonner aux professionnels (notamment par le respect des compétences), de valorisation médiatique de nos savants et de nos créateurs. Dans le domaine de l’éducation, il devient urgent de s’accorder sur ce que l’on pourrait appeler une « boussole éducative », qui est à donner dès le plus jeune âge, car c’est au primaire que les disparités sociales et individuelles peuvent être corrigées. Lire, écrire, compter, maîtriser des langues, certes, mais aussi savoir se situer dans l’espace (géographie et environnement), dans le temps (une histoire générale stratifiée sur la longue durée qui part du local pour parler du national, du continental et du planétaire). Parallèlement, à l’évidence, l’usage du corps (gymnastique, danse, théâtre) est essentiel.

Mais les enseignants baignent –ils le disent tous les jours-- dans le monde d’identités imbriquées de nos enfants, où ils se trouvent souvent démunis pour répondre à celles et ceux qui vivent dans des expressions culturelles mutantes. Il est donc urgent de leur donner des outils.

A cela, nous le voyons avec l’explosion médiatique, il faut donc ajouter une éducation culturelle, qui dépasse la seule éducation aux arts. En effet, les enfants, comme les adultes, sont désormais bombardés d’images de toutes les époques, de toutes les civilisations, sur tous les supports. Face à ce maelström incompréhensible, il devient fondamental d’apprendre des repères en histoire générale de la production visuelle humaine, qui donnent des renseignements temporels, géographiques et sur les supports. Cela se complète par des initiations aux pratiques culturelles : outils d’analyse, initiations à la création, familiarisations avec les créateurs et les lieux de diffusion culturelle. Dans ce cadre, il serait utile d’ailleurs de donner parallèlement des repères en histoire planétaire des formes musicales.

Nous pouvons comprendre que tout cela ne sera possible qu’avec un très fort décloisonnement entre éducation et culture. La déperdition d’énergies et d’argent est forte en effet quand les réalisations sont éclatées en autant d’institutions et de services. Ne constituons pas pour autant des monstres administratifs ingérables, mais il est vraiment temps de coordonner, de fédérer les activités pédagogiques des musées, les développements sur les médias du monde éducatif, les ressources des médias eux-mêmes, les outils de communication (télévisions et Internet), les ressources régionales en ligne, le monde de la recherche, l’appétit de savoir du grand public. Tout le monde a à y gagner et nous cesserons alors d’entendre, comme depuis vingt ans, des discours de bonnes intentions de ministres suivis d’initiatives croupions sans effet.

Cet effort pédagogique national pourra d’ailleurs s’exporter –et pas seulement dans le domaine francophone. Il renforcera parallèlement le rôle d’un ministère de la Culture, devenant un vrai ministère des Cultures, défendant clairement l’opéra comme la bande dessinée, opérant enfin la démocratisation culturelle par la perméabilité entre les genres, dans une conception qui pourrait se résumer ainsi : cultures de tous, cultures pour tous. Partant du local, sans avoir honte de la défense de pratiques traditionnelles, le ministère permettrait d’aider à valoriser et à structurer le territoire en pôles d’excellences régionaux (dans l’hexagone et pour l’outre-mer) et à les défendre au niveau international.

Les Etats-Unis ont compris depuis longtemps –voir leur hégémonie cinématographique depuis la Première Guerre mondiale-- que la défense et l’exportation des expressions culturelles (même très populaires comme le blues ou la country) servaient à tirer l’ensemble de l’économie en faisant image. A l’ère d’Internet, le phénomène s’est décuplé.

Voilà pourquoi il serait donc important de mettre en place une vraie boussole éducative –et de l’exporter. Voilà pourquoi il devient crucial qu’une structure interministérielle rassemble les institutions éducatives et culturelles pour lancer un grand plan d’éducation culturelle, donnant des repères aux jeunes et aux citoyennes et citoyens, en ouvrant des perspectives de recherche et de postes pour les étudiants. Voilà pourquoi il faut comprendre l’importance d’un ministère de la Culture (ou des Cultures), non pas élément coûteux et superfétatoire en temps de crise, mais vrai porteur des énergies locales vers le mondial (dans un système d’échanges), aide à structurer les territoires en pôles de référence, formidable outil de communication pour porter la créativité et le savoir national à travers Internet, les télévisions, et la dynamisation de médias indépendants indispensables non seulement à la liberté d’expression, mais à la diversité culturelle.

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04 : 02 : 12

Aider les colibris

Personnellement, j'ai toujours eu un peu de mal avec l'aspect gourou de Pierre Rabhi. Néanmoins, je suis les activités des colibris : info@colibris-lemouvement.org. Il faut bien reconnaître que les idées et les intentions de ces oiseaux ont l'air plutôt sympathiques. De plus, le fait d'agir ici et maintenant, dans le local, correspond véritablement à l'esprit de SEE, des socio-écologistes (voir le livre Le local-global. Changer soi pour changer la planète sur ce site dans la partie "idées, philo, politique"), comme d'ailleurs les combats des "anonymous" pour éviter la policiarisation et la commercialisation d'Internet (fausse défense de la création) sont sûrement utiles.

Refusons les conventions, la vie formatée, et allez tenter de voler un peu.

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23 : 01 : 12

Quel Président en France ? Quel programme ?

 [élection présidentielle française 2012]

Face à l’hyperactivisme de Nicolas Sarkozy, cumulant les fonctions de Président et de Premier ministre, François Hollande a dû se justifer (notamment lors du discours du Bourget) sur l’autorité de sa personne-même et son programme. Voyons les deux aspects et réfléchissons à ce que pourrait être la fonction présidentielle.

D’abord, le programme. Après des programmes précis non respectés, la classe politique dans son ensemble s’est « bayrouisée ». Elle a compris d’une part que les Français ne croyaient plus dans l’annonce de mesures destinées à faire plaisir à chaque catégorie sociale et d’autre part que la moindre mesure précise annoncée faisait immédiatement le miel des cellules de riposte. Alors, nous assistons à une campagne cache-cache, une campagne de slogans généraux dont François Bayrou est le champion incontesté. Les seuls –Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon—qui ont besoin d’annoncer des mesures-phares pour trancher et marquer la rupture se font rattraper sur le terrain de la crédibilité.

Nous risquons ainsi de ne pas avoir une campagne de catalogues programatiques mais une campagne d’intentions, de signes : au Bourget, François Hollande a donné des signes pour rassembler la gauche ; puis, à la Maison des Métallos, il a voulu démontrer sa crédibilité budgétaire. A la décharge des candidats, le jeu de masques devient nécessaire également car la conjoncture étant mauvaise, les promesses peuvent devenir des sacrifices et les prévisions être dangereuses dans un brouillard international où le pragmatisme comptera. A cet égard, François Hollande a choisi sagement un « phasage » dans l’action, entre l’immédiat et les objectifs.

Il n’empêche que la gauche a aussi intérêt à affirmer clairement des principes : la justice, la proximité, la durabilité. Ce n’est pas parce qu’il n’y a plus d’argent que les réformes ne sont pas nécessaires –au contraire--, à la fois dans les comportements et dans le fonctionnement d’un pays désemparé et déprimé. La justice est indispensable et le parti socialiste remet heureusement ce thème en avant, en particulier en luttant contre les dysfonctionnements de la financiarisation et les prévarications. Elle seule peut rendre les sacrifices acceptables. C’est le moteur de la refonte du lien social : assainir et innover.

Ensuite, la proximité consiste à revivifier le niveau local. Petit à petit, tous les partis s’aperçoivent qu’il s’agit à la fois du niveau abandonné, abandonné économiquement et démocratiquement. Le mettre en valeur avec son tissu économique (productions de proximité, réseau de PME), l’accompagner par une nouvelle décentralisation, stimule la démocratie locale et l’action de consommateurs-citoyens et de spectateurs-acteurs qui nous sortent de la société du spectacle pour entrer dans les sociétés des spectateurs-acteurs en réseau. Voilà le niveau où la citoyenne et le citoyen ont une grande marge de manœuvre : leur univers directement visible. Voilà ce que l’Etat devra porter : mettre en place des plates-formes intermédiaires de valorisation. Le local doit en effet être porté vers le global dans des bouquets d’échanges.

Enfin la durabilité réside dans le fait d’avoir une pleine conscience de la planète relative et interdépendante dans laquelle nous sommes. Inutile de continuer à mentir et à nous leurrer sur des frontières de papier. La planète est interdépendante car les catastrophes ignorent les barrières, comme les propagations de pollutions aériennes, terrestres ou maritimes. De plus, les destructions sont physiques (énergies fossiles), mais aussi économiques (avec migrations de populations) et culturelles (acculturations généralisées et fulgurantes). Parce que les plus pauvres sont les plus touchés par les pollutions, la déculturation ou la malbouffe, il est donc urgent de réorganiser l’économie avec des objectifs de durabilité et d’efficacité grâce à des entreprises éthiques dans leur comportement, leur fonctionnement interne et leur rapport aux fournisseurs et aux consommateurs. L’injustice économique actuelle est une maladie de l’organisation économique, pas du marché.

La planète est relative aussi parce qu’il nous faut accepter --à l’heure des masses déprimées de consommateurs addictifs robotisés chez nous-- l’absence d’un « progrès » uniforme et d’un modèle unique de vie. La pluralité de comportements est une valeur universelle, permettant de choisir et de changer dans le respect de tous les groupes humains. Le parti socialiste doit là décoloniser sa pensée : l’image dix-neuvièmiste d’un progrès uniforme pour le monde entier, fondé sur l’accumulation de biens industriels et de technologies partout semblables est un leurre néfaste. Cela est compréhensible pour la grande majorité de notre population déclassée, vivant difficilement et angoissée par le décrochage social. On ne veut pas vivre partout de la même manière et chacun se situe, non seulement dans un rapport local-global mais dans des choix rétros-futuros. Le mouvement n’est pas le « progrès », mais des évolutions, des progressions, des choix. Le second tour de l’élection permettra peut-être d’avancer sur ce front du pluralisme, des sociétés ouvertes.

Voilà pour la question du programme. Venons-en à la personnalité de celui ou celle que nous voudrions pour diriger le pays. L’hyperprésidentialisme a clairement montré ses limites. Nicolas Sarkozy en fait s’est autodétruit médiatiquement à force de se surexposer dans une geste réactive. Il est probablement le plus mauvais communicant de la Ve République --là-même où il pensait exceller. Celui qui parle tous les jours au gré d’une actualité allant d’un accord franco-allemand à une jeune fille violée, se contredit en effet inévitablement, apparaît comme totalement illisible et ne peut résoudre tous les maux, donc ment factuellement. Au temps de la mémoire vidéo en boucle sur les télévisions et Internet, l’exercice est assassin. Même si nous omettons ses fautes de communication graves du début de mandat (Fouquet’s, yacht, hausse de son salaire…), en faisant un « président enrichi et président des riches », il a délivré des messages brouillés (le Grenelle de l’environnement puis « L’environnement, ça suffit ! »). Sa seule solution est donc à nouveau celle de la rupture : affirmer qu’il s’est trompé sur différents points et qu’il veut entamer une présidence nouvelle avec un nouveau Premier ministre (Juppé ? Borloo ?...) jouant pleinement son rôle pour reconstruire la France et la réformer dans la concertation.

Cette élection marque ainsi sûrement la fin du Président-omnipotent, inquiétante figure autoritariste sans autorité. Mais, en face, François Hollande est-il un futur Président qui se cache, une personnalité faible, un Président « mou du genou » ? Il a compris –reconnaissons-lui ce mérite—plusieurs choses. D’abord, l'importance de la "fracture générationnelle" que j'analysais dès 2005 (dans Bas les pattes sur l'avenir ! chez Sens & Tonka) et cette incroyable privation de perspectives pour les jeunes, comme d'ailleurs pour toute une partie de la population active. Mais fera-t-il émerger des têtes nouvelles et comprendra-t-il les enjeux du futur ? Ensuite, en temps de crise, les excès de la « peoplisation », comme lors de la pré-campagne de Nicolas Sarkozy et de Ségolène Royal en 2006, deviennent insupportables. Les peuples veulent des personnalités solides, honnêtes, claires dans la ligne définie.

Dans quel système constitutionnel ? Le système auquel finalement les Français sont assez attachés, avec un Président de la République qui joue le rôle de stratège, d’arbitre, de recours, de porte-parole international. C’est lui qui doit faire le lien (comme tout l’Etat) du local au mondial. Sous sa direction, le Premier ministre développe la politique choisie, répond techniquement aux besoins de l’heure, fédère les énergies en réformant dans la concertation. Dans ce sens, l’aspect « chef d’équipe » de François Hollande, celui qui permet la diversité des avis et des initiatives puis tranche, est probablement une version plus actuelle de ce que le Président doit être. Ce n’est pas une preuve de faiblesse mais l’usage des temps différents de l’impulsion, de la concertation et des débats, de la décision. Du respect des compétences et de la curiosité des points de vue. D’ailleurs, le général de Gaulle lui-même s’était entouré de personnalités fortes et variées (André Malraux, Léopold Sédar Senghor, Georges Pompidou…) dont il écoutait les avis. Un Président « normal » ?

Le pays a cependant aussi besoin d’une clarification de son fonctionnement à tous les étages, car chacun est en crise. Au niveau local, la commune ou l’intercommunalité doivent constituer des niveaux essentiels de décision de proximité (avec référendums d’initiative populaire). Il est nécessaire aussi de consolider des régions fortes qui portent des pôles d’excellence en réseau avec une vraie pensée de l’aménagement du territoire. Quant à l’Etat central, il régule, impulse, aide à porter le local vers le continental et le mondial. Réalités stratifiées.

Notre République, pour plus d’efficacité, mériterait également quelques réformes constitutionnelles de clarification courageuses. Comme le pensait Raymond Barre, l’élection d’un Président pour 7 ans non renouvelable permettrait de développer vraiment une politique et un programme, à condition d’allonger la durée de l’assemblée (pour éviter des cohabitations paralysantes). L’Assemblée nationale devrait devenir ce qu’elle annonce : une Assemblée de l’ensemble du peuple à la proportionnelle intégrale. Cela supprimerait l’aberration de courants de pensée très importants par le nombre de sympathisants (comme le Front national ou les écologistes) sans groupe parlementaire ou même sans député faute d’accords électoraux –déni démocratique. Le Sénat devrait, lui, au contraire, être élu au suffrage universel tous les 9 ans pour représenter les territoires. Nous aurions ainsi un bicamérisme clair et sûrement un renouvellement du personnel politique (avec l’interdiction du cumul et une limite d’âge à 75 ans).

Voilà des chantiers essentiels dans un pays à revivifier et qui a besoin de retrouver confiance en lui-même pour se servir des formidables énergies locales et à nouveau porter des messages dans le monde. Pour cela, nous n’avons sûrement pas l’utilité d’un président suractif et illisible mais d’un chef d’équipe qui développe une stratégie et valorise les forces du pays.

[post-scriptum pour mes amies et amis libertaires : même si nous connaissons les limites de l'action publique représentative --ce qui doit d'autant plus inciter à prendre en mains son quotidien directement--, je ne crois pas à l'équivalence des dirigeants, après avoir directement vécu le marasme général de l'ère Sarkozy en France]


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08 : 01 : 12

Michel Onfray, si proche, si loin

Image : un petit clin d'oeil aux Monsters de Motomichi Nakamura.

Michel Onfray me pose problème car nous sommes dans la même famille de pensée, tout en étant très différents par la biographie et les idées. A l'heure où il sort son livre sur Albert Camus, quelques réflexions.

1. Rien n'est plus énervant que l'émiettement groupusculaire. Je l'ai détesté depuis le début des années 1970 et cela explique d'ailleurs mon absence de carte dans aucun parti depuis cette époque. SEE, dont je m'occupe, est un groupe de réflexion, en aucun cas un parti ni une secte. Je hais les gourous. Voilà pourquoi, il faut se réjouir que Michel Onfray se réclame du mouvement libertaire, un mouvement libertaire conduit à rénover nos pratiques sociales avec des organisations coopératives, mutualistes et fédéralistes, trop mises entre parenthèses depuis le XIXe siècle et qui sont susceptibles de dynamiser le XXIe siècle, avec les démarches éthiques (ce que j'ai montré dans le film A travers les utopies)..

Sur la  base du refus ferme du terrorisme --qui a fait tant de mal à l'anarchisme, en renforçant toujours la répression policière-- et du parallèle "anarchie = foutoir" avec absence totale de règles sociales --ce qui n'est pas viable sauf isolement autarcique de micro-structures--, chacune et chacun a cependant sa propre vision et ses propres choix d'un comportement libertaire. Autant d'individus, autant de courants. Néanmoins, quelques orientations générales peuvent rassembler tout le monde et permettre de "diversifier la diversité".

Voilà pourquoi il faut se réjouir du développement des idées libertaires et détester les jalousies de chapelles. Ces idées seules d'ailleurs peuvent régénérer le courant socialiste pour agir sur l'un des objectifs essentiels aujourd'hui : la justice.

2. En tant que personne, je ne connais pas Michel Onfray. Nous avons juste fugacement correspondu par mail. Nos profil sont très différents. Il a choisi une part "visible", alors que j'ai oeuvré dans une grande part "invisible". Même si je ne me reconnais pas dans son assurance professorale affichée, j'ai de l'admiration pour son université populaire, de la sympathie pour ses expérimentations gustatives et son hédonisme, et suis touché par son activisme (cette incroyable production angoissée, cette course contre le temps). Même si j'aurais plutôt critiqué la religion psychanalyste inopérante et lucrative des actuels descendants de Freud que la biographie de ce dernier (expérimental et ayant des pressentiments fulgurants), même si j'apprécie aussi Sartre avec ses excès sans nier ses rivalités et ses intolérances avec Camus, Onfray se retrouve trop souvent en position de devoir "vendre" ses thèses dans un monde médiatique où la subtilité ne paie pas.

Il a le courage d'ouvrir des pistes, d'écrire clair pour tous.

3. Deux choses de fond me séparent de lui. A plusieurs reprises, il s'est rapproché de l'extrême-gauche, de l'étatisme, d'une tradition autoritaire, qui me font frémir. J'ai très peur des relents nationalistes de l'antimondialisation et des tendances bureaucratiques autoritaires de la défense d'un Etat non renouvelé et qui n'a pas de comptes à rendre sur son efficacité et la justice de son fonctionnement. Face à ces dangers, c'est toute l'organisation locale-globale qu'il faut repenser, en démarrant par la base : la reprise en mains du vivre-en-commun de notre univers directement visible par chacune et chacun. Passer de la société de consommation passive et addictive aux consommateurs-citoyens et de la société du spectacle aux sociétés des spectateurs-acteurs.

La seconde chose est la philosophie de la relativité. Au temps des périls climatiques, des catastrophes sans frontières, des migrations économiques, des pollutions planétaires, de la malbouffe pour les plus pauvres, de l'acculturation exponentielle, le big-bang de l'écologie matérielle et culturelle impose de repenser tous les fonctionnements locaux et globaux. La pensée occidentale n'est pas un progrès et n'est pas supérieure aux autres conceptions du monde. Il faut s'inspirer de tout et de tous, et expérimenter, bouger.

Non, nous ne voulons pas vivre dans les Alpes comme à Rouen  ou à Ouagadougou et nous n'y pratiquerons pas la même agriculture. Voilà les grands enjeux d'aujourd'hui. Ils sont ceux à la fois d'une reprise en mains de l'hyper-local avec nos identités imbriquées et nos histoires stratifiées et d'une pensée de la diversité globale fondée sur le refus de l'uniformisation moyenne, de la normalisation, du grand hôpital planétaire pour le "bien" commun. Les Massaï comme les Inuit ont le droit de continuer à chasser. Entre préserver, retrouver, innover, s'opèrent les choix rétro-futuros évolutifs.

Voilà qui nous ouvre à notre planète en transformations.

4. A ces différences près, je crois qu'il est important, dans une époque de tant d'incurie et de manque d'imagination (le banquier Attali, d'une prétention  abyssale, donnant des leçons de rafistolage d'un système injuste), d'exprimer sa sympathie et son respect pour des personnes comme Michel Onfray qui sont sur des routes parallèles. Nous allons dans le même sens. Salut donc Onfray !

 P.S. Grâce à l'article de Philippe Dagen dans Le Monde, je suis allé au Musée archéologique de Guiry-en-Vexin : quelle étrangeté et quelle poésie que ces bas-reliefs soviétiques  de  l'exposition internationale de 1937 brisés, retrouvés en 2004, reconstitués à côté de statues gallo-romaines et de tombes...

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03 : 01 : 12

Réveillons 2012

Pour démarrer une année qui doit bouger, mon nez en plein vent à l'île de Molène, une île sans impôts, sans voiture et sans police, vivant à l'heure solaire ! NOUVEAU à la suite de vos demandes : vous pouvez devenir membre gratuitement du SEE-socioecolo Network en nous écrivant sur "contact" (prénom et nom, ville et pays, email, et vous recevrez la newsletter)


« Ce qui n’est pas vécu, est toujours une surprise », bonne ou mauvaise d’ailleurs, disent les Yaos de la forêt nord-laotienne. Et nous voici face à une année 2012 qui nous fait frémir par avance. Les prévisionnistes –souvent des statisticiens, continuateurs de tendances—nous annoncent du sang et des larmes sans espoir. Nous serons sûrement surpris donc. Mais dans quel sens ?

Il peut être très négatif si nous continuons à écouter ce mot « crise » asséné depuis 1973. En effet, les seules solutions proposées sont le retour à un nationalisme protectionniste d’un côté --qui n’a plus de sens à l’heure où les périls écologiques et les migrations liées à des événements géopolitiques mondiaux obligent à mettre en place des gouvernances planétaires-- et de l’autre, l’acceptation passive d’une mondialisation productrice d’injustices, de déculturations et de destructions du capital énergétique et vivant planétaire. Comment croire à de telles solutions ? Et ce n’est pas le communisme d’Etat qui peut prétendre à être une solution alternative : tous les gouvernements autoritaires, laïques ou religieux, apparaissent, partout dans le monde (et singulièrement dans les pays musulmans aujourd’hui), comme inacceptables au temps des identités imbriquées et des individus en réseaux.

Alors ? Alors, si, en France, l’offre persiste à consister dans ce choix stérile entre nationalisme et mondialisation aveugle, nous allons dans le mur et creusons le sillon du simplisme comme ce nationalisme (à la hongroise) habillé en gaullisme social prôné par Marine Le Pen --oubliant par ailleurs que le général de Gaulle fut un décolonisateur et un constructeur de l’Europe. Le malaise est si grand et la part « invisible » de la population française sans perspective, « ramant » au quotidien, si importante, que tout regard illusoire vers un passé mythifié semble protecteur : Marine apôtre des Sixties (ce qui est un paradoxe au regard de l’histoire de son courant de pensée). Elle joue avec habileté sur le local, celles et ceux à qui on ne parle plus, sur ces micro-réalités diversifiées qui font le vivre-en-commun, et sur la rupture consommée avec les puissants. Elle défend les savoir-faire et la préservation des traditions.

Voilà pourquoi il est temps d’ouvrir d’autres perspectives politiques, en tenant un discours de vérité et d’espoir, car les crises peuvent servir à s’écrouler dans la passivité ou justement à se réorganiser profondément suivant des règles acceptables et compréhensibles par toutes et tous. Regardons alors quelles sont les perspectives d’avenir pouvant être apportées par chacune des grandes familles politiques françaises.

Le meilleur de la droite n’est pas son conservatisme ni un nationalisme qui a produit 200 ans de guerres. Le meilleur de la droite est de ne pas oublier le passé, tous les passés, dans des histoires stratifiées sur la longue durée qui vont du local au global. Sans aucun esprit de « paradis perdu » qui n’a jamais existé, ni de flagellation rétrospective perpétuelle incompréhensible pour les générations actuelles. Le meilleur de la droite est aussi sa défense des traditions (même culinaires), mais dans une perspective de transformation. Voilà pourquoi la dimension locale-globale est essentielle (descendre les décisions au plus près des citoyens, diversifier les solutions) et que l’Etat aide à organiser, réguler, pour porter vers le global. Nous ne voulons pas vivre à Guéret comme à Bordeaux. Nous ne cultiverons jamais en Beauce comme dans les Alpes. Nous sommes attachés à la langue bretonne et au kouign-amann comme à Montmartre, sa commune libre et son vin. Tout cela se fait dans un esprit de tri rétro-futuro : ce qu’on veut garder, ce qu’on veut changer, ce qu’on veut retrouver, ce qu’on veut inventer.

Du côté du centre, il existe deux tendances : libérale et démocrate chrétienne. Le libéralisme --même s’il est devenu dans l’esprit français une caricature financière inacceptable-- a eu dans l’histoire internationale des vertus indiscutables : l’affirmation de la nécessité du marché et de la concurrence a stimulé fortement l’innovation (associée trop facilement au « progrès ») et stimulé les initiatives ; des formes de gouvernements ouverts aux débats démocratiques et un formidable développement des médias (de la presse jusqu’à Internet). Ses théoriciens considèrent d’ailleurs que l’accumulation de l’argent par quelques-uns, l’héritage des entreprises et les monopoles sont néfastes à la bonne marche économique. De son côté, la démocratie chrétienne, telle qu’elle s’est développée après la Deuxième Guerre mondiale, a favorisé la réconciliation des peuples à travers l’Europe, l’antiracisme, la tolérance entre les religions. Message fort.

Il faut donc pousser les atouts de ces idées libérales en développant des micro-marchés, en panachant les préférences locales et des productions mondialisées, en reprenant conscience de l’importance des petites et moyennes entreprises, de tous ce micro-tissu économique (la disparition du dernier pêcheur à l’île de Molène serait un non-sens), en innovant par des organisations coopératives, mutualistes, en créant des labels d’entreprises éthiques et éco-responsables, en demandant des comptes à des administrations efficaces… C’est par le bas que l’économie peut être relancée alors que les connaissances et les énergies sont là. C’est par le bas que s’organisera la mobilisation sociale de chacune et chacun dans les emplois concurrentiels ou d’utilité collective.

Parallèlement, il est temps de défendre au niveau mondial un pacte moral commun (notamment en redonnant une prééminence aux choix politiques sur l’économique), une police planétaire qui puisse permettre de supprimer les armées, un code de conduite écologique évolutif. La voix de la France doit être une des voix du réveil d’un devenir collectif global dans une vraie vision philosophique de la relativité. Cesser de tirer des leçons à posteriori de l’histoire pour avancer vers une vision pluraliste du monde : un monde de tolérance avec des religions et des conceptions de la vie différentes, des modes de vie variés, un monde où le Berlinois n’est pas supérieur ou plus « avancé » que le Wayana, un monde où chacun choisit et évolue.

Quant aux socialistes, qui ont l’air aujourd’hui tétanisés, entre un complexe gestionnaire, des errements affairistes et une allergie à l’écologie ? A ces leçons de proximité et d’organisation globale, ils doivent ajouter leur cœur de métier : la justice. Elle passe d’abord par l’œuvre éducative à travers la vie, en renforçant la « boussole éducative » délivrée au primaire, qui est le fondement de l’égalité des chances et aussi la possibilité d’évoluer dans ses connaissances tout au long de la vie. La justice passe aussi par une réforme de la fiscalité urgente pour arrêter les passe-droits et les inégalités flagrantes, pour réduire aussi les disparités par le patrimoine encore plus injustes que celles des salaires. La justice suppose également d’exercer une pression pour mieux assurer le fonctionnement d’entreprises et d’administrations éthiques dans leur organisation, leurs services, leurs conditions de travail, la répartition des rémunérations, leurs produits. La justice demande parallèlement de stimuler les énergies et de reconnaître l’importance de tout un tissu associatif de bénévoles qui forme une passerelle nécessaire entre les générations et une formidable plus-value non-financière. Il est temps en effet de passer de la consommation passive aux consommateurs-citoyens et de la société du spectacle aux sociétés des spectateurs-acteurs. C’est enfin à un big-bang culturel qu’il est urgent d’appeler pour défendre la diversité des médias, développer des structures intermédiaires de valorisation, permettre des choix directs des citoyens à côté de ceux de jurys professionnels.

Il est temps enfin que les socialistes réalisent leur Bad Godesberg écologiste. La défense de la justice ne peut se réaliser que dans la défense de la durabilité. L’écologie –disons-le une bonne fois pour toutes—n’est pas une question pour bobos qui ma ngent des germes de soja. L’écologie est la grande question planétaire : les ouragans, les sécheresses, les pollutions massives des mers, des terres et de l’air, la malbouffe, l’acculturation galopante (en 2 ans, 2000 ans de traditions peuvent voler en éclats), tout cela touche avant tout les plus pauvres. L’écologie est donc une question de survie commune et de justice. C’est en plus, si on sort des visions sectaires, le moyen de repenser beaucoup de façons de se comporter, d’apporter des solutions variées, de choisir individuellement, d’expérimenter. Le monde paysan ne peut que se rapprocher des écologistes pragmatiques, et les écologistes doivent tolérer les partisans d’une chasse ou d’une pêche raisonnée. La production n’est pas antinomique d’expérimentations nouvelles et de durabilité, au contraire voilà la source d’innovations nombreuses.

Alors, si nous regardons 2012 avec ces perspectives positives apportées par tous les courants de pensée, et si un candidat les prend en compte et les porte avec sincérité et honnêteté, la population ne lui fera pas grief de n’avoir pas tout réussi, mais le pays aura des buts, un cap, des idées, des objectifs. Ce sera la bonne surprise Yao. La France, pour l’instant, court, folle et désespérée, comme un poulet décapité. Il est temps de reparler à chacune et à chacun. De cette manière, nous reparlerons au monde d’une voix cohérente, respectée et crédible. Cessons de subir et de gâcher nos énergies.

A signaler, la sortie de l'article " Coincés entre nationalisme et mondialisation" sur le site globalmagazine.info, rubrique "jus de crâne" : http://www.globalmagazine.info/article/171/96/Coinces-entre-nationalisme-et-mondialisation

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23 : 12 : 11

L'invisibilité, c'est quoi ?

Cela fait plusieurs années que je décris la forme d’ « invisibilité » actuelle, par exemple dans la partie sur "les invisibles" du film L'Info est-elle comestible ? projeté depuis 2009. C’est d’ailleurs probablement à cause de cette réalité que j’ai dû passer de travaux sur l’analyse des images à l’analyse des médias, puis à des positions politico-philosophiques (www.see-socioecolo.com) insistant sur trois notions : justice, proximité, durabilité.

L’invisibilité, la non-représentation d’une partie importante de la population est évidemment ancienne : c’est le corps anonyme du peuple dans nos systèmes pyramidaux depuis le Néolithique. Il s’y ajoute un autre élément à partir de la Révolution française : la revendication d’une figuration du peuple et celle d’une expression populaire (voir d’ailleurs à cet égard la très intéressante exposition actuelle du Musée Carnavalet sur Le Peuple de Paris au XIXe siècle). Entre la fin du XIXe siècle avec les mouvements socio-anarchistes et l’entre-deux-guerres (des personnalités comme Henry Poulaille ou les appels à un « réalisme socialiste »), la volonté de montrer le travail et les masses travailleuses ainsi que parfois celle de les faire s’exprimer (« littérature prolétarienne » de Poulaille) balance de l’hagiographie enrôleuse à la dénonciation des conditions de vie.

Qu’est-ce qui change aujourd’hui ? Ce qui change est d’ordre social et médiatique. D’un point de vue social –voilà l’aspect le plus éclairé depuis plusieurs années--, des populations hétéroclites majoritaires vivent difficilement, se sentent impuissantes et non écoutées. Ces précarisés sont de trois ordres : celles et ceux qui sont à la rue ou dans des systèmes d’assistanat ; les travailleurs pauvres (et cela touche beaucoup les jeunes même diplômés) ; enfin, toute une partie de la société pouvant être très instruite, travaillant beaucoup, composée des « déclassés » n’ayant pas hérité et donc payant cher leur logement et leur nourriture, alors qu’ils peuvent avoir des postes très qualifiés.

Paradoxalement, les plus visibles sont probablement les premiers, car ils hantent nos rues et nos télévisions. Mais l’angoisse des autres ? Celles et ceux qui ont un logement, une profession, de l’argent, et qui, à plus de 50 ans nourrissent les banques d’agios, débutent les mois ponctionnés de toutes parts, avec juste le droit de se taire pour ne pas être indécents ? Celles et ceux qui vivent des crises à répétition depuis les années 1970 ? Qui ont compris que l’ascenseur social s’arrêtait au 4e et que le 5e étage était réservé à une petite minorité ?

Ils sont invisibles dans un système où les représentants politiques ne peuvent les comprendre car ils n’imaginent pas leurs difficultés. Ils décrochent. Ils décrochent d’autant plus qu’à cette crise sociale s’ajoute une crise médiatique. L’écroulement télévisuel en est le grand responsable : la façon dont la télévision commerciale a aspiré dans l’abîme la télévision publique vers la néantisation culturelle a rendu invisibles des pans entiers de la société. De plus en plus de gens s’expriment, agissent, diffusent, pour de moins en moins de relais. Non pas qu’il y ait eu un « âge d’or », mais parce que le passage de la culture de l’écrit (avec la floraison des revues) à la culture des images a considérablement appauvri l’offre intellectuelle.

Par ailleurs, tandis que la vulgarité et la bêtise individuelle sont étalées comme d’ailleurs une vraie insulte au peuple, nos savants et nos créateurs ne sont nullement des modèles. Nous sommes matraqués de personnel politique (désormais souvent fier d’être inculte), de sportifs, d’actrices ou d’acteurs ou de chanteurs morts. Quid des jeunes créateurs ? Des jeunes musiciens, plasticiens ? Des expérimentateurs sociaux ? Quid des grands savants (et pas des vulgarisateurs de seconde zone qui font de la science marketing) ? Crise des modèles. Crise des valeurs.

Nous passons pourtant de la « société du spectacle » aux sociétés des spectateurs-acteurs. Avec Internet, les possibilités d’expression, de diffusion, de création sont immenses. Le niveau de maîtrise de ces outils s’est beaucoup développé. La société des loisirs (comme d’ailleurs le système éducatif) a incité aux pratiques multimédias. Chacune et chacun s’exprime à longueur de journée. Du coup, tout le monde écrit son roman, pratique la photo, le théâtre ou la peinture, lance des idées. Sans effet : l’abondance de l’offre tue le choix. La frustration grandit.

La quantité aujourd’hui noie la perception de la qualité et même son identification. Picasso peut mourir jeune au Bateau-Lavoir : en dehors même de l’écroulement télévisuel (et de ses conséquences dans la « peoplisation » en boucle), nul critique honnête et sérieux n’a la capacité de rendre compte de l’immensité de la production actuelle. La submersion est la première des censures.

Voilà pourquoi il existe une double peine des invisibles : une peine sociale et une peine médiatique. Peine sociale car le mérite ne sert plus à rien et le décrochage s’accélère pour une frange considérable. C’est bien un travail sur la justice qui s’impose là, depuis l’école jusqu’aux règles sociales dans l’Etat et dans les entreprises. Les consommateurs-acteurs et les citoyens-acteurs doivent y inciter par une reprise en mains des actions locales. L’éveil politique n’est pas la révolution dangereuse du lointain, ni d’ailleurs le repli protectionniste sur l’Etat ou la tentation communautaire autarcique, mais la multiplicité des expérimentations locales qui parlent à tous dans un rapport local-global. Là, cessent l’impuissance et la peur.

Et la peine médiatique ? Elle vient du fait que tous s’expriment dans le vide. Alors, au temps des sociétés de spectateurs-acteurs, il devient nécessaire de multiplier les structures locales de valorisation pour aider à une diffusion globale. J’avais appelé dans un article sur « un ministère des cultures » à la nécessité de mixer des jurys tirés au sort dans la population et des jurys de professionnels pour ouvrir le champ des sélections. Dans tous les domaines en fait, la majorité de la population a le sentiment du « cause toujours » avec des systèmes bloqués.

Il est imputable aux médias, bien sûr, qui tournent en rond autour de ce qui « marche » (parce qu’il faut vivre) --qui est aussi ce dont ils parlent. Mais pas seulement. Il est imputable à l’absence totale à l’ère d’Internet de ces structures intermédiaires d’expression.

Au temps de la crise économique, il est donc temps que la justice légitime la pénurie prévisible. La durabilité aussi. Mais il est temps également que les spectateurs-acteurs, les consommateurs-acteurs, se réveillent pour reprendre en mains les pratiques et les choix locaux dans des échanges locaux-globaux. L’Etat doit devenir à la fois ce régulateur et ce passeur.

Alors, nous changerons la perception d’une poudrière sans perspective qui est celle des 99%. En effet, sans visibilité, laissée à l’aveuglement des puissants, la somme des individualités risque sinon de s’égarer dans des aventures de groupe retombant sur des pratiques extrêmes autoritaires (de droite ou de gauche, religieuses ou laïques) à l’avenir tristement prévisible. De l’indignation, passons, avec visibilité, à l’expérimentation du local-global.

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07 : 12 : 11

GOUVERNER. Les invisibles prennent la parole

L'Apocalypse, et après ? Cela fait quarante ans qu'on nous enfume avec les crises, qu'on nous réduit à l'idéologie de l'impuissance, à la passivité de la consommation addictive. Réveillons-nous ! Organisons autrement le local, prenons en mains  notre quotidien en devenant consommateurs-acteurs, spectateurs-acteurs. Les bulles financières ne sont pas notre monde qui est celui des valeurs matérielles et immatérielles. Conjuguons les générations.

Allez voir la rubrique "idées, philo, politique (lectures gratuites)" sur ce site et diffusez les textes, rejoignez les socio-écologistes de SEE, imaginez à nouveau en arrêtant de subir ! Demain sera ce que nous en ferons.


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28 : 11 : 11

Les dérives de l'histoire-marketing

Posons les choses. J'ai organisé l'exposition "Images et colonies" en 1993, faisant confiance alors aux membres de l'ACHAC, puis celle du Musée historique du Sénégal avec mon ami Abdoulaye Camara dans l'ïle de Gorée. J'ai travaillé sur l'exotisme et les représentations de l'autre (par exemple, dans Histoire du visuel au XXe siècle ou bien sûr en faisant l'exposition sur l'histoire de l'immigration en France en 1998). J'ai théorisé depuis longtemps notre monde relatif, nos identités imbriquées, nos rapports locaux-globaux. Voilà donc d'où je parle (précaution indispensable à notre époque de "politically correct").

Maintenant, parlons de l'exposition EXHIBITIONS. L'invention du sauvage au musée du Quai Branly. C'est l'exemple même de ce qu'il ne faut jamais faire en histoire : prendre un thème  (noble en l'occurrence, l'antiracisme) et L'ILLUSTRER. Du coup, les représentations de l'autre sont mêlées (il existe beaucoup "d'autres") et montrées uniformément comme haineuses, avec un total anachronisme, alors qu'elles relèvent d'attitudes différenciées en cercles concentriques : de la haine primaire et vulgaire, oui, mais aussi, à l'autre bout, de la description fidèle, de la fascination, de l'empathie. On aurait gagné à comprendre ces strates et les évolutions dans le temps. On aurait aimé aussi du comparatisme. Voilà donc de l'histoire vieillotte, idéologique comme jadis dans les pays de l'Est, de l'histoire-marketing, du business des bons sentiments à l'égal de l'infect charity business dénoncé aux Etats-Unis.

C'est grave parce qu'une exposition de ce type va sembler "courageuse". Elle enfonce en fait des portes ouvertes. Elle instrumentalise l'histoire en pratiquant l'anachronisme et la décontextualisation. Elle méprise les "images" qui deviennent juste des illustrations, souvent forcées ou sans objet. Un vrai travail aurait consisté à tenter de comprendre leur sens au moment de leur réalisation, leurs publics et d'étudier leur diversité.

Quant à l'exhibition des humains comme les animaux, elle n'a jamais été qualifiée de "zoos humains" à l'époque et n'a évidemment pas le même sens à la fin du XIXe siècle et aujourd'hui. Pour comprendre la distance à mettre, deux expériences  contraires : en 2001, j'aide les musées sud-africains à se transformer alors que les populations autochtones apparaissent seulement dans les dioramas des musées d'histoire naturelle et l'art commence avec l'art hollandais du XVIIe siècle ; en 2002, à Ouagadougou, le directeur du parc national me montre des villages en construction qui, habités, permettront aux visiteurs de découvrir la diversité des populations du pays.

Le courage n'est donc pas dans la caricature et la négation d'un travail historique scrupuleux. Elles ne peuvent qu'attiser les ressentiments. Le courage consiste à affirmer la non-reconnaissance et la non-connaissance de l'histoire longue des autres continents, la négation de leurs cultures (on expose des objets en ignorant délibérément leur fonction et leur sens), l'acculturation volontaire en continuant à imposer à des populations isolées (en forêt amazonienne, par exemple) une éducation occidentale niant leur savoir parfaitement adapté à leur environnement.

Alors, marquons un coup d'arrêt à l'histoire-marketing, dévoiement total du travail historique dans l'anachronisme et encourageons les travaux de connaissances réciproques rigoureux respectant tous les passés.

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03 : 11 : 11

La revanche du réel

EXP !

Nos petits poings

Oui, nous n'avons que nos petits poings pour nous défendre et nos gants chamaniques pour y croire. Pendant ce temps-là, dans la stratosphère --là où nous ne comprenons rien, ou que trop-- les annonces de catastrophes se succèdent. Alors, chacune et chacun se recroqueville sur l'essentiel : son univers visible, ce qui nous atteint directement et ce sur quoi nous avons prise.

Retour au local

Cette conversion à l'univers limité d'intervention deviendra d'ailleurs d'autant plus prégnante que les périls grandiront. Quand les superstructures s'effondrent, le troc, les micro-organisations de pénurie prospèrent. Alors, tous découvrent l'abstraction de l'argent.

Dépérissement de la valeur argent

La traduction de tous les actes en argent --sans d'ailleurs quantifier la valeur réelle de ce qui y échappe-- bâtit une société très inégalitaire avec de l'argent réel trop rare et de l'argent virtuel trop abondant. Redonner sa valeur aux choses, c'est aussi concevoir des échanges de générosités, des solidarités géographiques, une conjugaison des générations. Ainsi d'ailleurs, les cultures reprennent leur vrai poids et sortent d'une logique de guichet pour lobbies très minoritaires. Ainsi, nous bâtissons des entreprises éthiques et des administrations efficaces, sous l'impulsion de consommateurs-acteurs dans un bouleversement de la relation travail-loisir.

Le local-global : des actions en réseau

Les typhons, les accidents nucléaires ou financiers dépassent largement les frontières. Aussi, le pendant indispensable du retour au local est la conjonction des initiatives pour peser sur les enjeux globaux. Plus personne ne s'en "sortira" par la bunkerisation. Aucune muraille --réelle ou virtuelle-- n'est assez solide. Le communautarisme émietté en égoïsmes concentrés et rivaux se révèle aussi dangereux que la paupérisation de masse par une globalisation injuste économiquement et destructrice des différences culturelles.

Repenser des vivre-en-commun divers, relatifs, expérimentaux, évolutifs

Pour qui voit juste, les crises successives du communisme soviétique et du capitalisme financier sont des chances propres à dessiner d'autres perspectives à nos sociétés déprimées, de consommateurs addicts décervelés perpétuellement insatisfaits. Il est temps en effet d'ouvrir les cervelles et de sortir de nos petites technocraties à court terme. Il est temps de balayer les vieux grigous de droite et de gauche qui nous bassinent avec leurs incapacités et leur impuissance depuis des dizaines d'années, qui se trompent tout le temps, qui disent impossible ce qui se produit le lendemain.

Balayons les résignés, les prophètes du passé

Il faut une rupture générationnelle (dont je parlais déjà en 2005) pour entrer dans notre univers en bascule et s'y investir dans une conjugaison des générations. Les paramètres se modifient, modifions les points de vue. Et partout, à tout âge, elles et ils se mobiliseront sur de nouveaux objectifs locaux-globaux, mus par autre chose que l'argent.

L'indignation, ça suffit ! Devenons des EXPERIMENTATEURS.


(www.see-socioecolo.com)

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UTILE !

Une expo gratuite de 52 posters téléchargeable en ligne sur www.agroparistech.fr / Musée du Vivant et le livre à acheter sur ce site (voir livres)

UNE HISTOIRE GENERALE DE L'ECOLOGIE EN IMAGES

Un somme indispensable à connaître aujourd'hui : les humains et leur environnement depuis la préhistoire

Commençons la révolution du savoir

contre tous les obscurantismes !

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