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27 : 02 : 12 |
 Notre vie, ce sont aussi les institutions |
L'organisation de l'Etat semble indifférente. Pourtant, sentant un formidable décalage entre le peuple et ses dirigeants, nos candidats (présidentielle 2012, France) proposent des réformes à la marge, de manière à sembler réformateurs et soucieux de démocratisation (référendums).
Il est temps de proposer de vraies réformes structurelles d'ensemble. Pourquoi ignorer les questions de fond ? Pourquoi ne pas accompagner le basculement vers les sociétés des spectateurs-acteurs ?
L’avantage et l’inconvénient du choix démocratique est
qu’il suppose l’évolution, les perfectionnements constants et l’esprit
critique. Aucun système n’est parfait et tous, même excellents à un moment
donné, ont tendance à se pervertir et se nécroser. Voilà ce qu’il en est de la
cinquième République française. Nul étonnement alors à ce que chacun en appelle
à des rafistolages divers de circonstance. Mais si nous repensions
l’ensemble ?
Quel système
constitutionnel ? Le système auquel finalement les Français semblent assez
attachés, raillé souvent comme une sorte de monarchie constitutionnelle, est
celui dirigé par un Président de la République révocable qui joue le rôle de
stratège, d’arbitre, de recours, de porte-parole international. Le président
fait le lien (comme tout l’Etat) du local au mondial. Sous sa direction, le
Premier ministre développe la politique choisie, répond techniquement aux
besoins de l’heure, fédère les énergies en réformant dans la concertation. Dans
ce sens, l’aspect « chef d’équipe », celui qui permet la diversité
des avis et des initiatives puis tranche, est probablement la version actuelle
de ce que le Président doit être (et pas un « omni-président » qui
devient forcément un « omni-incompétent »). Il s’agit de gérer
efficacement l’usage des temps différents de l’impulsion, de la concertation et
des débats, de la décision. Du respect des compétences et de la curiosité des
points de vue. D’ailleurs, le général de Gaulle lui-même s’était entouré de
personnalités fortes et variées (André Malraux, Léopold Sédar Senghor, Georges
Pompidou…) dont il écoutait les avis. Un Président « normal » ?
Le pays a cependant
aussi besoin d’une clarification de son fonctionnement à tous les étages, car
chacun est en crise. Au niveau local, la commune ou l’intercommunalité doivent
constituer des niveaux essentiels de décision de proximité (avec référendums
d’initiative populaire qui profitent des nouvelles possibilités d’Internet). C’est
au niveau local que se réveilleront les réflexes citoyens auxquels toutes les
générations aspirent. C’est au niveau local que pourra s’opérer la conjugaison des générations contre le
bourrage de crânes perpétuel de l’impuissance, ne créant que la rage, la
frustration et le désespoir. Dans le dialogue local-global, le réveil du local
est ainsi l’échelon fondamental, la première étape. Celui sur lequel chacune et
chacun a prise, son univers « visible » directement.
Il est nécessaire
aussi de consolider des régions fortes qui portent des pôles d’excellence en
réseau avec une vraie pensée de l’aménagement du territoire. L’émiettement
administratif français (cantons, conseils généraux…) est nocif car, non
seulement il coûte mais affaiblit les régions. Quant à l’Etat central, il
régule, coordonne (aménagement du territoire en pôles d’excellence répartis),
impulse, aide à porter le local vers le continental et le mondial. Ce sont des
réalités stratifiées.
Par le réveil du
local, nous sortirons ainsi les citoyens du sentiment de dépossession de leur
devenir. Nous pourrons valoriser les initiatives sans tomber dans le sentiment
d’une invisibilité, d’une fracture générationnelle, d’une trahison des médias
et d’un personnel politique totalement coupé des réalités quotidiennes de la
population. A l’autre bout, il est nécessaire de renforcer la gouvernance
continentale (ne serait-ce que pour la régulation des échanges) et d’organiser
clairement une gouvernance mondiale quand les questions de circulations
financières, de commerce, de changements climatiques, de pollutions, de
migrations, de catastrophes, de disparition des énergies fossiles… dépassent
les frontières. C’est aussi la question d’un comportement éthique planétaire
minimal.
Mais revenons à la
France. Notre République, pour plus d’efficacité, mériterait également quelques
réformes de clarifications courageuses et pas seulement des bricolages à visée
électorale. Osons des propositions. Comme le pensait Raymond Barre, l’élection
d’un Président pour 7 ans non renouvelable permettrait de développer vraiment
une politique et un programme, à condition d’allonger la durée de l’assemblée
(pour éviter des cohabitations paralysantes). L’Assemblée nationale devrait
devenir ce qu’elle annonce : une Assemblée de l’ensemble du peuple à la
proportionnelle intégrale. Cela supprimerait l’aberration de courants de
pensée très importants par le nombre de sympathisants (comme le Front national
ou les écologistes) sans groupe parlementaire ou même sans député faute
d’accords électoraux –déni démocratique. Le Sénat devrait, lui, au contraire,
être élu au suffrage universel tous les 9 ans pour représenter les territoires.
Nous aurions ainsi un bicamérisme clair et sûrement un renouvellement du
personnel politique (avec l’interdiction du cumul et une limite d’âge à 75
ans).
Nous sentons bien le
malaise actuel. Il résulte de deux sentiments profonds : l’impuissance et
l’injustice. Par certains aspects, il est très spécifique à notre pays. Il est
temps d’oser et de réveiller la France.
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04 : 02 : 12 |
 SORTIR DE LA CRISE GRACE A L'EDUCATION ET A LA CULTURE ! |
Soutenez ce texte sur www.gervereau.com (contact), il est d'expression collective dans un contexte de débats utiles pour affirmer priorités et valeurs :
La crise est là,
certes, nous le savons. L’argent public se raréfie. Le moral des Français est
dans les chaussettes. Mais, quand nous regardons sur le terrain la somme des
bonnes volontés, des énergies, de l’inventivité, des actes gratuits généreux,
nous avons le sentiment de chances gâchées, d’un peuple dont on a tué l’espoir
et l’énergie pour le jeter dans la résignation et la frustration. Pourtant, l’économie
ne relève pas seulement de mesures techniques, elle dépend en grande partie
aussi de psychologie sociale. Voilà pourquoi l’intuition de François Hollande
sur l’envie du futur à redonner à la jeunesse est fondamentale pour contrer
cette « fracture générationnelle » --que je dénonçais dès 2005-- en
bâtissant une vraie conjugaison des générations.
Quoi faire alors
pour l’éducation et la culture ?
Tout ne relève pas
de dépenses supplémentaires mais d’objectifs clairs, de confiance à redonner
aux professionnels (notamment par le respect des compétences), de valorisation
médiatique de nos savants et de nos créateurs. Dans le domaine de l’éducation,
il devient urgent de s’accorder sur ce que l’on pourrait appeler une « boussole éducative », qui est à
donner dès le plus jeune âge, car c’est au primaire que les disparités sociales
et individuelles peuvent être corrigées. Lire, écrire, compter, maîtriser des
langues, certes, mais aussi savoir se situer dans l’espace (géographie et
environnement), dans le temps (une histoire générale stratifiée sur la longue
durée qui part du local pour parler du national, du continental et du
planétaire). Parallèlement, à l’évidence, l’usage du corps (gymnastique, danse,
théâtre) est essentiel.
Mais les
enseignants baignent –ils le disent tous les jours-- dans le monde d’identités
imbriquées de nos enfants, où ils se trouvent souvent démunis pour répondre à
celles et ceux qui vivent dans des expressions culturelles mutantes. Il est
donc urgent de leur donner des outils.
A cela, nous le
voyons avec l’explosion médiatique, il faut donc ajouter une éducation
culturelle, qui dépasse la seule éducation aux arts. En effet, les enfants,
comme les adultes, sont désormais bombardés d’images de toutes les époques, de
toutes les civilisations, sur tous les supports. Face à ce maelström incompréhensible,
il devient fondamental d’apprendre des repères en histoire générale de la
production visuelle humaine, qui donnent des renseignements temporels,
géographiques et sur les supports. Cela se complète par des initiations aux
pratiques culturelles : outils d’analyse, initiations à la création,
familiarisations avec les créateurs et les lieux de diffusion culturelle. Dans
ce cadre, il serait utile d’ailleurs de donner parallèlement des repères en
histoire planétaire des formes musicales.
Nous pouvons
comprendre que tout cela ne sera possible qu’avec un très fort décloisonnement
entre éducation et culture. La déperdition d’énergies et d’argent est forte en
effet quand les réalisations sont éclatées en autant d’institutions et de
services. Ne constituons pas pour autant des monstres administratifs ingérables,
mais il est vraiment temps de coordonner, de fédérer les activités pédagogiques
des musées, les développements sur les médias du monde éducatif, les ressources
des médias eux-mêmes, les outils de communication (télévisions et Internet),
les ressources régionales en ligne, le monde de la recherche, l’appétit de
savoir du grand public. Tout le monde a à y gagner et nous cesserons alors d’entendre,
comme depuis vingt ans, des discours de bonnes intentions de ministres suivis
d’initiatives croupions sans effet.
Cet effort
pédagogique national pourra d’ailleurs s’exporter –et pas seulement dans le
domaine francophone. Il renforcera parallèlement le rôle d’un ministère de la
Culture, devenant un vrai ministère des Cultures, défendant clairement l’opéra
comme la bande dessinée, opérant enfin la démocratisation culturelle par la
perméabilité entre les genres, dans une conception qui pourrait se résumer
ainsi : cultures de tous, cultures
pour tous. Partant du local, sans avoir honte de la défense de pratiques
traditionnelles, le ministère permettrait d’aider à valoriser et à structurer
le territoire en pôles d’excellences régionaux (dans l’hexagone et pour
l’outre-mer) et à les défendre au niveau international.
Les Etats-Unis ont
compris depuis longtemps –voir leur hégémonie cinématographique depuis la
Première Guerre mondiale-- que la défense et l’exportation des expressions
culturelles (même très populaires comme le blues ou la country) servaient à
tirer l’ensemble de l’économie en faisant image. A l’ère d’Internet, le
phénomène s’est décuplé.
Voilà pourquoi il
serait donc important de mettre en place une vraie boussole éducative –et de
l’exporter. Voilà pourquoi il devient crucial qu’une structure
interministérielle rassemble les institutions éducatives et culturelles pour
lancer un grand plan d’éducation culturelle, donnant des repères aux jeunes et
aux citoyennes et citoyens, en ouvrant des perspectives de recherche et de
postes pour les étudiants. Voilà pourquoi il faut comprendre l’importance d’un
ministère de la Culture (ou des Cultures), non pas élément coûteux et
superfétatoire en temps de crise, mais vrai porteur des énergies locales vers
le mondial (dans un système d’échanges), aide à structurer les territoires en
pôles de référence, formidable outil de communication pour porter la créativité
et le savoir national à travers Internet, les télévisions, et la dynamisation
de médias indépendants indispensables non seulement à la liberté d’expression,
mais à la diversité culturelle.
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04 : 02 : 12 |
 Aider les colibris |
Personnellement, j'ai toujours eu un peu de mal avec l'aspect gourou de Pierre Rabhi. Néanmoins, je suis les activités des colibris : info@colibris-lemouvement.org. Il faut bien reconnaître que les idées et les intentions de ces oiseaux ont l'air plutôt sympathiques. De plus, le fait d'agir ici et maintenant, dans le local, correspond véritablement à l'esprit de SEE, des socio-écologistes (voir le livre Le local-global. Changer soi pour changer la planète sur ce site dans la partie "idées, philo, politique"), comme d'ailleurs les combats des "anonymous" pour éviter la policiarisation et la commercialisation d'Internet (fausse défense de la création) sont sûrement utiles.
Refusons les conventions, la vie formatée, et allez tenter de voler un peu.
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23 : 01 : 12 |
 Quel Président en France ? Quel programme ? |
[élection présidentielle française 2012]
Face à l’hyperactivisme de Nicolas
Sarkozy, cumulant les fonctions de Président et de Premier ministre, François
Hollande a dû se justifer (notamment lors du discours du Bourget) sur
l’autorité de sa personne-même et son programme. Voyons les deux aspects et
réfléchissons à ce que pourrait être la fonction présidentielle.
D’abord, le programme. Après des
programmes précis non respectés, la classe politique dans son ensemble s’est
« bayrouisée ». Elle a compris d’une part que les Français ne
croyaient plus dans l’annonce de mesures destinées à faire plaisir à chaque
catégorie sociale et d’autre part que la moindre mesure précise annoncée
faisait immédiatement le miel des cellules de riposte. Alors, nous assistons à
une campagne cache-cache, une campagne de slogans généraux dont François Bayrou
est le champion incontesté. Les seuls –Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon—qui
ont besoin d’annoncer des mesures-phares pour trancher et marquer la rupture se
font rattraper sur le terrain de la crédibilité.
Nous
risquons ainsi de ne pas
avoir une campagne de catalogues programatiques mais une campagne
d’intentions, de signes : au Bourget, François Hollande a donné des
signes
pour rassembler la gauche ; puis, à la Maison des Métallos, il a voulu
démontrer sa crédibilité budgétaire. A la décharge des candidats, le jeu
de masques
devient nécessaire également car la conjoncture étant mauvaise, les
promesses
peuvent devenir des sacrifices et les prévisions être dangereuses dans
un
brouillard international où le pragmatisme comptera. A cet égard,
François
Hollande a choisi sagement un « phasage » dans l’action, entre
l’immédiat et les objectifs.
Il n’empêche que la gauche a aussi
intérêt à affirmer clairement des principes : la justice, la proximité, la
durabilité. Ce n’est pas parce qu’il n’y a plus d’argent que les réformes ne
sont pas nécessaires –au contraire--, à la fois dans les comportements et dans
le fonctionnement d’un pays désemparé et déprimé. La justice est indispensable
et le parti socialiste remet heureusement ce thème en avant, en particulier en
luttant contre les dysfonctionnements de la financiarisation et les
prévarications. Elle seule peut rendre les sacrifices acceptables. C’est le
moteur de la refonte du lien social : assainir et innover.
Ensuite, la proximité consiste à
revivifier le niveau local. Petit à petit, tous les partis s’aperçoivent qu’il
s’agit à la fois du niveau abandonné, abandonné économiquement et
démocratiquement. Le mettre en valeur avec son tissu économique (productions de
proximité, réseau de PME), l’accompagner par une nouvelle décentralisation,
stimule la démocratie locale et l’action de consommateurs-citoyens et de
spectateurs-acteurs qui nous sortent de la société du spectacle pour entrer
dans les sociétés des spectateurs-acteurs en réseau. Voilà le niveau où la
citoyenne et le citoyen ont une grande marge de manœuvre : leur univers
directement visible. Voilà ce que l’Etat devra porter : mettre en place
des plates-formes intermédiaires de valorisation. Le local doit en effet être
porté vers le global dans des bouquets d’échanges.
Enfin la durabilité réside dans le
fait d’avoir une pleine conscience de la planète relative et interdépendante
dans laquelle nous sommes. Inutile de continuer à mentir et à nous leurrer sur
des frontières de papier. La planète est interdépendante car les catastrophes
ignorent les barrières, comme les propagations de pollutions aériennes,
terrestres ou maritimes. De plus, les destructions sont physiques (énergies
fossiles), mais aussi économiques (avec migrations de populations) et
culturelles (acculturations généralisées et fulgurantes). Parce que les plus
pauvres sont les plus touchés par les pollutions, la déculturation ou la
malbouffe, il est donc urgent de réorganiser l’économie avec des objectifs de
durabilité et d’efficacité grâce à des entreprises éthiques dans leur
comportement, leur fonctionnement interne et leur rapport aux fournisseurs et
aux consommateurs. L’injustice économique actuelle est une maladie de
l’organisation économique, pas du marché.
La planète est relative aussi parce
qu’il nous faut accepter --à l’heure des masses déprimées de consommateurs
addictifs robotisés chez nous-- l’absence d’un « progrès » uniforme
et d’un modèle unique de vie. La pluralité de comportements est une valeur
universelle, permettant de choisir et de changer dans le respect de tous les
groupes humains. Le parti socialiste doit là décoloniser sa pensée :
l’image dix-neuvièmiste d’un progrès uniforme pour le monde entier, fondé sur
l’accumulation de biens industriels et de technologies partout semblables est
un leurre néfaste. Cela est compréhensible pour la grande majorité de notre
population déclassée, vivant difficilement et angoissée par le décrochage
social. On ne veut pas vivre partout de la même manière et chacun se situe, non
seulement dans un rapport local-global mais dans des choix rétros-futuros. Le
mouvement n’est pas le « progrès », mais des évolutions, des
progressions, des choix. Le second tour de l’élection permettra peut-être
d’avancer sur ce front du pluralisme, des sociétés ouvertes.
Voilà pour la question du programme.
Venons-en à la personnalité de celui ou celle que nous voudrions pour diriger
le pays. L’hyperprésidentialisme a clairement montré ses limites. Nicolas
Sarkozy en fait s’est autodétruit médiatiquement à force de se surexposer dans
une geste réactive. Il est probablement le plus mauvais communicant de la Ve
République --là-même où il pensait exceller. Celui qui parle tous les jours au
gré d’une actualité allant d’un accord franco-allemand à une jeune fille
violée, se contredit en effet inévitablement, apparaît comme totalement
illisible et ne peut résoudre tous les maux, donc ment factuellement. Au temps
de la mémoire vidéo en boucle sur les télévisions et Internet, l’exercice est
assassin. Même si nous omettons ses fautes de communication graves du début de
mandat (Fouquet’s, yacht, hausse de son salaire…), en faisant un
« président enrichi et président des riches », il a délivré des
messages brouillés (le Grenelle de l’environnement puis « L’environnement,
ça suffit ! »). Sa seule solution est donc à nouveau celle de la
rupture : affirmer qu’il s’est trompé sur différents points et qu’il veut
entamer une présidence nouvelle avec un nouveau Premier ministre (Juppé ?
Borloo ?...) jouant pleinement son rôle pour reconstruire la France et la
réformer dans la concertation.
Cette élection
marque ainsi sûrement
la fin du Président-omnipotent, inquiétante figure autoritariste sans
autorité.
Mais, en face, François Hollande est-il un futur Président qui se cache,
une
personnalité faible, un Président « mou du genou » ? Il a
compris –reconnaissons-lui ce mérite—plusieurs choses. D’abord,
l'importance de la "fracture générationnelle" que j'analysais dès 2005
(dans Bas les pattes sur l'avenir ! chez Sens & Tonka) et
cette incroyable privation de perspectives pour les jeunes, comme
d'ailleurs pour toute une partie de la population active. Mais fera-t-il
émerger des têtes nouvelles et comprendra-t-il les enjeux du futur ?
Ensuite, en temps de
crise, les excès de la « peoplisation », comme lors de la
pré-campagne de Nicolas Sarkozy et de Ségolène Royal en 2006, deviennent
insupportables. Les peuples veulent des personnalités solides, honnêtes,
claires dans la ligne définie.
Dans quel système
constitutionnel ? Le système auquel finalement les Français sont assez attachés, avec un
Président de la République qui joue le rôle de stratège, d’arbitre, de recours,
de porte-parole international. C’est lui qui doit faire le lien (comme tout
l’Etat) du local au mondial. Sous sa direction, le Premier ministre développe
la politique choisie, répond techniquement aux besoins de l’heure, fédère les
énergies en réformant dans la concertation. Dans ce sens, l’aspect « chef
d’équipe » de François Hollande, celui qui permet la diversité des avis et
des initiatives puis tranche, est probablement une version plus actuelle de ce
que le Président doit être. Ce n’est pas une preuve de faiblesse mais l’usage
des temps différents de l’impulsion, de la concertation et des débats, de la
décision. Du respect des compétences et de la curiosité des points de vue.
D’ailleurs, le général de Gaulle lui-même s’était entouré de personnalités
fortes et variées (André Malraux, Léopold Sédar Senghor, Georges Pompidou…)
dont il écoutait les avis. Un Président « normal » ?
Le pays a cependant aussi besoin
d’une clarification de son fonctionnement à tous les étages, car chacun est en
crise. Au niveau local, la commune ou l’intercommunalité doivent constituer des
niveaux essentiels de décision de proximité (avec référendums d’initiative
populaire). Il est nécessaire aussi de consolider des régions fortes qui
portent des pôles d’excellence en réseau avec une vraie pensée de l’aménagement
du territoire. Quant à l’Etat central, il régule, impulse, aide à porter le
local vers le continental et le mondial. Réalités stratifiées.
Notre République, pour plus
d’efficacité, mériterait également quelques réformes constitutionnelles de
clarification courageuses. Comme le pensait Raymond Barre, l’élection d’un
Président pour 7 ans non renouvelable permettrait de développer vraiment une
politique et un programme, à condition d’allonger la durée de l’assemblée (pour
éviter des cohabitations paralysantes). L’Assemblée nationale devrait devenir
ce qu’elle annonce : une Assemblée de l’ensemble du peuple à la
proportionnelle intégrale. Cela supprimerait l’aberration de courants de
pensée très importants par le nombre de sympathisants (comme le Front national
ou les écologistes) sans groupe parlementaire ou même sans député faute
d’accords électoraux –déni démocratique. Le Sénat devrait, lui, au contraire,
être élu au suffrage universel tous les 9 ans pour représenter les territoires.
Nous aurions ainsi un bicamérisme clair et sûrement un renouvellement du
personnel politique (avec l’interdiction du cumul et une limite d’âge à 75
ans).
Voilà des chantiers essentiels dans
un pays à revivifier et qui a besoin de retrouver confiance en lui-même pour se
servir des formidables énergies locales et à nouveau porter des messages dans
le monde. Pour cela, nous n’avons sûrement pas l’utilité d’un président
suractif et illisible mais d’un chef d’équipe qui développe une stratégie et
valorise les forces du pays.
[post-scriptum pour mes amies et amis libertaires : même si nous connaissons les limites de l'action publique représentative --ce qui doit d'autant plus inciter à prendre en mains son quotidien directement--, je ne crois pas à l'équivalence des dirigeants, après avoir directement vécu le marasme général de l'ère Sarkozy en France]
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08 : 01 : 12 |
 Michel Onfray, si proche, si loin |
Image : un petit clin d'oeil aux Monsters de Motomichi Nakamura.
Michel Onfray me pose problème car nous sommes dans la même famille de pensée, tout en étant très différents par la biographie et les idées. A l'heure où il sort son livre sur Albert Camus, quelques réflexions.
1. Rien n'est plus énervant que l'émiettement groupusculaire. Je l'ai détesté depuis le début des années 1970 et cela explique d'ailleurs mon absence de carte dans aucun parti depuis cette époque. SEE, dont je m'occupe, est un groupe de réflexion, en aucun cas un parti ni une secte. Je hais les gourous. Voilà pourquoi, il faut se réjouir que Michel Onfray se réclame du mouvement libertaire, un mouvement libertaire conduit à rénover nos pratiques sociales avec des organisations coopératives, mutualistes et fédéralistes, trop mises entre parenthèses depuis le XIXe siècle et qui sont susceptibles de dynamiser le XXIe siècle, avec les démarches éthiques (ce que j'ai montré dans le film A travers les utopies)..
Sur la base du refus ferme du terrorisme --qui a fait tant de mal à l'anarchisme, en renforçant toujours la répression policière-- et du parallèle "anarchie = foutoir" avec absence totale de règles sociales --ce qui n'est pas viable sauf isolement autarcique de micro-structures--, chacune et chacun a cependant sa propre vision et ses propres choix d'un comportement libertaire. Autant d'individus, autant de courants. Néanmoins, quelques orientations générales peuvent rassembler tout le monde et permettre de "diversifier la diversité".
Voilà pourquoi il faut se réjouir du développement des idées libertaires et détester les jalousies de chapelles. Ces idées seules d'ailleurs peuvent régénérer le courant socialiste pour agir sur l'un des objectifs essentiels aujourd'hui : la justice.
2. En tant que personne, je ne connais pas Michel Onfray. Nous avons juste fugacement correspondu par mail. Nos profil sont très différents. Il a choisi une part "visible", alors que j'ai oeuvré dans une grande part "invisible". Même si je ne me reconnais pas dans son assurance professorale affichée, j'ai de l'admiration pour son université populaire, de la sympathie pour ses expérimentations gustatives et son hédonisme, et suis touché par son activisme (cette incroyable production angoissée, cette course contre le temps). Même si j'aurais plutôt critiqué la religion psychanalyste inopérante et lucrative des actuels descendants de Freud que la biographie de ce dernier (expérimental et ayant des pressentiments fulgurants), même si j'apprécie aussi Sartre avec ses excès sans nier ses rivalités et ses intolérances avec Camus, Onfray se retrouve trop souvent en position de devoir "vendre" ses thèses dans un monde médiatique où la subtilité ne paie pas.
Il a le courage d'ouvrir des pistes, d'écrire clair pour tous.
3. Deux choses de fond me séparent de lui. A plusieurs reprises, il s'est rapproché de l'extrême-gauche, de l'étatisme, d'une tradition autoritaire, qui me font frémir. J'ai très peur des relents nationalistes de l'antimondialisation et des tendances bureaucratiques autoritaires de la défense d'un Etat non renouvelé et qui n'a pas de comptes à rendre sur son efficacité et la justice de son fonctionnement. Face à ces dangers, c'est toute l'organisation locale-globale qu'il faut repenser, en démarrant par la base : la reprise en mains du vivre-en-commun de notre univers directement visible par chacune et chacun. Passer de la société de consommation passive et addictive aux consommateurs-citoyens et de la société du spectacle aux sociétés des spectateurs-acteurs.
La seconde chose est la philosophie de la relativité. Au temps des périls climatiques, des catastrophes sans frontières, des migrations économiques, des pollutions planétaires, de la malbouffe pour les plus pauvres, de l'acculturation exponentielle, le big-bang de l'écologie matérielle et culturelle impose de repenser tous les fonctionnements locaux et globaux. La pensée occidentale n'est pas un progrès et n'est pas supérieure aux autres conceptions du monde. Il faut s'inspirer de tout et de tous, et expérimenter, bouger.
Non, nous ne voulons pas vivre dans les Alpes comme à Rouen ou à Ouagadougou et nous n'y pratiquerons pas la même agriculture. Voilà les grands enjeux d'aujourd'hui. Ils sont ceux à la fois d'une reprise en mains de l'hyper-local avec nos identités imbriquées et nos histoires stratifiées et d'une pensée de la diversité globale fondée sur le refus de l'uniformisation moyenne, de la normalisation, du grand hôpital planétaire pour le "bien" commun. Les Massaï comme les Inuit ont le droit de continuer à chasser. Entre préserver, retrouver, innover, s'opèrent les choix rétro-futuros évolutifs.
Voilà qui nous ouvre à notre planète en transformations.
4. A ces différences près, je crois qu'il est important, dans une époque de tant d'incurie et de manque d'imagination (le banquier Attali, d'une prétention abyssale, donnant des leçons de rafistolage d'un système injuste), d'exprimer sa sympathie et son respect pour des personnes comme Michel Onfray qui sont sur des routes parallèles. Nous allons dans le même sens. Salut donc Onfray !
P.S. Grâce à l'article de Philippe Dagen dans Le Monde, je suis allé au Musée archéologique de Guiry-en-Vexin : quelle étrangeté et quelle poésie que ces bas-reliefs soviétiques de l'exposition internationale de 1937 brisés, retrouvés en 2004, reconstitués à côté de statues gallo-romaines et de tombes...
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03 : 01 : 12 |
 Réveillons 2012 |
Pour démarrer une année qui doit bouger, mon nez en plein vent à l'île de Molène, une île sans impôts, sans voiture et sans police, vivant à l'heure solaire ! NOUVEAU à la suite de vos demandes : vous pouvez devenir membre gratuitement du SEE-socioecolo Network en nous écrivant sur "contact" (prénom et nom, ville et pays, email, et vous recevrez la newsletter)
« Ce qui n’est pas vécu, est toujours
une surprise », bonne ou mauvaise d’ailleurs, disent les Yaos de la forêt
nord-laotienne. Et nous voici face à une année 2012 qui nous fait frémir par
avance. Les prévisionnistes –souvent des statisticiens, continuateurs de
tendances—nous annoncent du sang et des larmes sans espoir. Nous serons
sûrement surpris donc. Mais dans quel sens ?
Il peut être très négatif si nous continuons
à écouter ce mot « crise » asséné depuis 1973. En effet, les seules solutions
proposées sont le retour à un nationalisme protectionniste d’un côté --qui n’a plus de sens à l’heure où les périls
écologiques et les migrations liées à des événements géopolitiques mondiaux
obligent à mettre en place des gouvernances planétaires-- et de l’autre,
l’acceptation passive d’une mondialisation productrice d’injustices, de
déculturations et de destructions du capital énergétique et vivant planétaire.
Comment croire à de telles solutions ? Et ce n’est pas le communisme
d’Etat qui peut prétendre à être une solution alternative : tous les
gouvernements autoritaires, laïques ou religieux, apparaissent, partout dans le
monde (et singulièrement dans les pays musulmans aujourd’hui), comme
inacceptables au temps des identités imbriquées et des individus en réseaux.
Alors ? Alors, si, en France, l’offre persiste
à consister dans ce choix stérile entre nationalisme et mondialisation aveugle,
nous allons dans le mur et creusons le sillon du simplisme comme ce
nationalisme (à la hongroise) habillé en gaullisme social prôné par Marine Le
Pen --oubliant par ailleurs que le général de Gaulle fut un décolonisateur et
un constructeur de l’Europe. Le malaise est si grand et la part « invisible »
de la population française sans perspective, « ramant » au quotidien,
si importante, que tout regard illusoire vers un passé mythifié semble
protecteur : Marine apôtre des Sixties (ce qui est un paradoxe au regard
de l’histoire de son courant de pensée). Elle joue avec habileté sur le local, celles
et ceux à qui on ne parle plus, sur ces micro-réalités diversifiées qui font le
vivre-en-commun, et sur la rupture consommée avec les puissants. Elle défend
les savoir-faire et la préservation des traditions.
Voilà pourquoi il est temps d’ouvrir d’autres
perspectives politiques, en tenant un discours de vérité et d’espoir, car les crises peuvent servir à s’écrouler dans la
passivité ou justement à se réorganiser profondément suivant des règles
acceptables et compréhensibles par toutes et tous. Regardons alors quelles sont les perspectives
d’avenir pouvant être apportées par chacune des grandes familles politiques
françaises.
Le meilleur de la droite n’est pas son
conservatisme ni un nationalisme qui a produit 200 ans de guerres. Le meilleur
de la droite est de ne pas oublier le passé, tous les passés, dans des
histoires stratifiées sur la longue durée qui vont du local au global. Sans aucun
esprit de « paradis perdu » qui n’a jamais existé, ni de flagellation
rétrospective perpétuelle incompréhensible pour les générations actuelles. Le
meilleur de la droite est aussi sa défense des traditions (même culinaires),
mais dans une perspective de transformation. Voilà pourquoi la dimension locale-globale est essentielle
(descendre les décisions au plus près des citoyens, diversifier les solutions)
et que l’Etat aide à organiser, réguler, pour porter vers le global. Nous ne
voulons pas vivre à Guéret comme à Bordeaux. Nous ne cultiverons jamais en
Beauce comme dans les Alpes. Nous sommes attachés à la langue bretonne et au
kouign-amann comme à Montmartre, sa commune libre et son vin. Tout cela se fait
dans un esprit de tri rétro-futuro :
ce qu’on veut garder, ce qu’on veut changer, ce qu’on veut retrouver, ce qu’on
veut inventer.
Du côté du centre, il existe deux
tendances : libérale et démocrate chrétienne. Le libéralisme --même s’il est
devenu dans l’esprit français une caricature financière inacceptable-- a eu dans
l’histoire internationale des vertus indiscutables : l’affirmation de la
nécessité du marché et de la concurrence a stimulé fortement l’innovation
(associée trop facilement au « progrès ») et stimulé les initiatives ;
des formes de gouvernements ouverts aux débats démocratiques et un formidable
développement des médias (de la presse jusqu’à Internet). Ses théoriciens
considèrent d’ailleurs que l’accumulation de l’argent par quelques-uns,
l’héritage des entreprises et les monopoles sont néfastes à la bonne marche
économique. De son côté, la démocratie chrétienne, telle qu’elle s’est développée après la Deuxième Guerre
mondiale, a favorisé la réconciliation des peuples à travers l’Europe,
l’antiracisme, la tolérance entre les religions. Message fort.
Il faut donc pousser les atouts de ces idées libérales
en développant des micro-marchés, en
panachant les préférences locales et des productions mondialisées, en reprenant
conscience de l’importance des petites et moyennes entreprises, de tous ce
micro-tissu économique (la disparition du dernier pêcheur à l’île de Molène
serait un non-sens), en innovant par des organisations coopératives,
mutualistes, en créant des labels d’entreprises éthiques et éco-responsables,
en demandant des comptes à des administrations efficaces… C’est par le bas que
l’économie peut être relancée alors que les connaissances et les énergies sont
là. C’est par le bas que s’organisera la mobilisation sociale de chacune et
chacun dans les emplois concurrentiels ou d’utilité collective.
Parallèlement, il est temps de défendre au
niveau mondial un pacte moral commun (notamment en redonnant une prééminence
aux choix politiques sur l’économique), une police planétaire qui puisse
permettre de supprimer les armées, un code de conduite écologique évolutif. La
voix de la France doit être une des voix du réveil d’un devenir collectif
global dans une vraie vision philosophique
de la relativité. Cesser de tirer des leçons à posteriori de l’histoire
pour avancer vers une vision pluraliste du monde : un monde de tolérance avec des religions et des
conceptions de la vie différentes, des modes de vie variés, un monde où le
Berlinois n’est pas supérieur ou plus « avancé » que le Wayana, un
monde où chacun choisit et évolue.
Quant aux socialistes, qui ont l’air
aujourd’hui tétanisés, entre un complexe gestionnaire, des errements
affairistes et une allergie à l’écologie ? A ces leçons de proximité et
d’organisation globale, ils doivent ajouter leur cœur de métier : la
justice. Elle passe d’abord par l’œuvre éducative à travers la vie, en
renforçant la « boussole éducative » délivrée au primaire, qui est le
fondement de l’égalité des chances et aussi la possibilité d’évoluer dans ses
connaissances tout au long de la vie. La justice passe aussi par une réforme de
la fiscalité urgente pour arrêter les passe-droits et les inégalités
flagrantes, pour réduire aussi les disparités par le patrimoine encore plus
injustes que celles des salaires. La justice suppose également d’exercer une pression
pour mieux assurer le fonctionnement d’entreprises et d’administrations
éthiques dans leur organisation, leurs services, leurs conditions de travail,
la répartition des rémunérations, leurs produits. La justice demande
parallèlement de stimuler les énergies et de reconnaître l’importance de tout
un tissu associatif de bénévoles qui forme une passerelle nécessaire entre les générations et une formidable
plus-value non-financière. Il est temps en effet de passer de la consommation passive aux consommateurs-citoyens et de la société du spectacle aux sociétés des
spectateurs-acteurs. C’est enfin à un big-bang culturel qu’il est urgent
d’appeler pour défendre la diversité des médias, développer des structures
intermédiaires de valorisation, permettre des choix directs des citoyens à côté
de ceux de jurys professionnels.
Il est temps enfin que les socialistes
réalisent leur Bad Godesberg écologiste. La défense de la justice ne peut se
réaliser que dans la défense de la durabilité. L’écologie –disons-le une bonne
fois pour toutes—n’est pas une question pour bobos qui ma ngent des germes de soja. L’écologie est la grande question planétaire : les
ouragans, les sécheresses, les pollutions massives des mers, des terres et de
l’air, la malbouffe, l’acculturation galopante (en 2 ans, 2000 ans de
traditions peuvent voler en éclats), tout cela touche avant tout les plus pauvres. L’écologie est donc une question de
survie commune et de justice. C’est en plus, si on sort des visions
sectaires, le moyen de repenser beaucoup
de façons de se comporter, d’apporter des solutions variées, de choisir
individuellement, d’expérimenter. Le monde paysan ne peut que se rapprocher des
écologistes pragmatiques, et les écologistes doivent tolérer les partisans
d’une chasse ou d’une pêche raisonnée. La
production n’est pas antinomique d’expérimentations nouvelles et de durabilité,
au contraire voilà la source d’innovations nombreuses.
Alors, si nous regardons 2012 avec ces
perspectives positives apportées par tous les courants de pensée, et si un
candidat les prend en compte et les porte avec sincérité et honnêteté, la
population ne lui fera pas grief de n’avoir pas tout réussi, mais le pays aura
des buts, un cap, des idées, des objectifs. Ce sera la bonne surprise Yao. La France, pour l’instant, court, folle et
désespérée, comme un poulet décapité. Il est temps de reparler à chacune et à
chacun. De cette manière, nous reparlerons au monde d’une voix cohérente,
respectée et crédible. Cessons de subir et de gâcher nos énergies.
A signaler, la sortie de l'article " Coincés entre nationalisme et mondialisation" sur le site globalmagazine.info, rubrique "jus de crâne" : http://www.globalmagazine.info/article/171/96/Coinces-entre-nationalisme-et-mondialisation
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23 : 12 : 11 |
 L'invisibilité, c'est quoi ? |
Cela fait plusieurs années que je décris la
forme d’ « invisibilité » actuelle, par exemple dans la partie sur "les invisibles" du film L'Info est-elle comestible ? projeté depuis 2009. C’est d’ailleurs
probablement à cause de cette réalité que j’ai dû passer de travaux sur l’analyse des
images à l’analyse des médias, puis à des positions politico-philosophiques (www.see-socioecolo.com) insistant sur
trois notions : justice, proximité, durabilité.
L’invisibilité, la non-représentation d’une
partie importante de la population est évidemment ancienne : c’est le
corps anonyme du peuple dans nos systèmes pyramidaux depuis le Néolithique. Il
s’y ajoute un autre élément à partir de la Révolution française : la
revendication d’une figuration du peuple et celle d’une expression populaire (voir
d’ailleurs à cet égard la très intéressante exposition actuelle du Musée
Carnavalet sur Le Peuple de Paris au XIXe
siècle). Entre la fin du XIXe siècle avec les mouvements socio-anarchistes
et l’entre-deux-guerres (des personnalités comme Henry Poulaille ou les appels
à un « réalisme socialiste »), la volonté de montrer le travail et
les masses travailleuses ainsi que parfois celle de les faire s’exprimer (« littérature
prolétarienne » de Poulaille) balance de l’hagiographie enrôleuse à la
dénonciation des conditions de vie.
Qu’est-ce qui change aujourd’hui ? Ce qui
change est d’ordre social et médiatique. D’un point de vue social –voilà
l’aspect le plus éclairé depuis plusieurs années--, des populations
hétéroclites majoritaires vivent difficilement, se sentent impuissantes et non
écoutées. Ces précarisés sont de trois ordres : celles et ceux qui sont à
la rue ou dans des systèmes d’assistanat ; les travailleurs pauvres (et
cela touche beaucoup les jeunes même diplômés) ; enfin, toute une partie
de la société pouvant être très
instruite, travaillant beaucoup, composée des « déclassés » n’ayant
pas hérité et donc payant cher leur logement et leur nourriture, alors qu’ils
peuvent avoir des postes très qualifiés.
Paradoxalement, les plus visibles sont
probablement les premiers, car ils hantent nos rues et nos télévisions. Mais l’angoisse
des autres ? Celles et ceux qui ont un logement, une profession, de
l’argent, et qui, à plus de 50 ans nourrissent les banques d’agios, débutent
les mois ponctionnés de toutes parts, avec juste le droit de se taire pour ne
pas être indécents ? Celles et ceux qui vivent des crises à répétition
depuis les années 1970 ? Qui ont compris que l’ascenseur social s’arrêtait
au 4e et que le 5e étage était réservé à une petite
minorité ?
Ils sont invisibles dans un système où les
représentants politiques ne peuvent les comprendre car ils n’imaginent pas
leurs difficultés. Ils décrochent. Ils décrochent d’autant plus qu’à cette
crise sociale s’ajoute une crise médiatique. L’écroulement télévisuel en est le
grand responsable : la façon dont la télévision commerciale a aspiré dans
l’abîme la télévision publique vers la néantisation culturelle a rendu
invisibles des pans entiers de la société. De plus en plus de gens s’expriment,
agissent, diffusent, pour de moins en moins de relais. Non pas qu’il y ait eu
un « âge d’or », mais parce que le passage de la culture de l’écrit
(avec la floraison des revues) à la culture des images a considérablement
appauvri l’offre intellectuelle.
Par ailleurs, tandis que la vulgarité et la
bêtise individuelle sont étalées comme d’ailleurs une vraie insulte au peuple,
nos savants et nos créateurs ne sont nullement des modèles. Nous sommes
matraqués de personnel politique (désormais souvent fier d’être inculte), de
sportifs, d’actrices ou d’acteurs ou de chanteurs morts. Quid des jeunes
créateurs ? Des jeunes musiciens, plasticiens ? Des expérimentateurs
sociaux ? Quid des grands savants (et pas des vulgarisateurs de seconde
zone qui font de la science marketing) ? Crise des modèles. Crise des
valeurs.
Nous passons pourtant de la « société du
spectacle » aux sociétés des spectateurs-acteurs. Avec Internet, les
possibilités d’expression, de diffusion, de création sont immenses. Le niveau
de maîtrise de ces outils s’est beaucoup développé. La société des loisirs
(comme d’ailleurs le système éducatif) a incité aux pratiques multimédias. Chacune
et chacun s’exprime à longueur de journée. Du coup, tout le monde écrit son
roman, pratique la photo, le théâtre ou la peinture, lance des idées. Sans
effet : l’abondance de l’offre tue
le choix. La frustration grandit.
La quantité aujourd’hui noie la perception de
la qualité et même son identification.
Picasso peut mourir jeune au Bateau-Lavoir : en dehors même de
l’écroulement télévisuel (et de ses conséquences dans la
« peoplisation » en boucle), nul critique honnête et sérieux n’a la
capacité de rendre compte de l’immensité de la production actuelle. La
submersion est la première des censures.
Voilà pourquoi il existe une double peine des
invisibles : une peine sociale et une peine médiatique. Peine sociale car
le mérite ne sert plus à rien et le décrochage s’accélère pour une frange considérable.
C’est bien un travail sur la justice qui s’impose là, depuis l’école jusqu’aux
règles sociales dans l’Etat et dans les entreprises. Les consommateurs-acteurs
et les citoyens-acteurs doivent y inciter par une reprise en mains des actions
locales. L’éveil politique n’est pas la révolution dangereuse du lointain, ni
d’ailleurs le repli protectionniste sur l’Etat ou la tentation communautaire
autarcique, mais la multiplicité des expérimentations locales qui parlent à tous
dans un rapport local-global. Là,
cessent l’impuissance et la peur.
Et la peine médiatique ? Elle vient du
fait que tous s’expriment dans le vide. Alors, au temps des sociétés de
spectateurs-acteurs, il devient nécessaire de multiplier les structures locales
de valorisation pour aider à une diffusion globale. J’avais appelé dans un
article sur « un ministère des cultures » à la nécessité de mixer des
jurys tirés au sort dans la population et des jurys de professionnels pour
ouvrir le champ des sélections. Dans tous les domaines en fait, la majorité de
la population a le sentiment du « cause toujours » avec des systèmes
bloqués.
Il est imputable aux médias, bien sûr, qui
tournent en rond autour de ce qui « marche » (parce qu’il faut vivre)
--qui est aussi ce dont ils parlent. Mais pas seulement. Il est imputable à
l’absence totale à l’ère d’Internet de ces structures intermédiaires
d’expression.
Au temps de la crise économique, il est donc
temps que la justice légitime la pénurie prévisible. La durabilité aussi. Mais
il est temps également que les spectateurs-acteurs, les consommateurs-acteurs,
se réveillent pour reprendre en mains les pratiques et les choix locaux dans
des échanges locaux-globaux. L’Etat doit devenir à la fois ce régulateur et ce
passeur.
Alors, nous changerons la perception d’une
poudrière sans perspective qui est celle des 99%. En effet, sans visibilité,
laissée à l’aveuglement des puissants, la somme des individualités risque sinon
de s’égarer dans des aventures de groupe retombant sur des pratiques extrêmes
autoritaires (de droite ou de gauche, religieuses ou laïques) à l’avenir tristement
prévisible. De l’indignation, passons, avec visibilité, à l’expérimentation du local-global.
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07 : 12 : 11 |
 GOUVERNER. Les invisibles prennent la parole |
L'Apocalypse, et après ? Cela fait quarante ans qu'on nous enfume avec les crises, qu'on nous réduit à l'idéologie de l'impuissance, à la passivité de la consommation addictive. Réveillons-nous ! Organisons autrement le local, prenons en mains notre quotidien en devenant consommateurs-acteurs, spectateurs-acteurs. Les bulles financières ne sont pas notre monde qui est celui des valeurs matérielles et immatérielles. Conjuguons les générations.
Allez voir la rubrique "idées, philo, politique (lectures gratuites)" sur ce site et diffusez les textes, rejoignez les socio-écologistes de SEE, imaginez à nouveau en arrêtant de subir ! Demain sera ce que nous en ferons.
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28 : 11 : 11 |
 Les dérives de l'histoire-marketing |
Posons les choses. J'ai organisé l'exposition "Images et colonies" en 1993, faisant confiance alors aux membres de l'ACHAC, puis celle du Musée historique du Sénégal avec mon ami Abdoulaye Camara dans l'ïle de Gorée. J'ai travaillé sur l'exotisme et les représentations de l'autre (par exemple, dans Histoire du visuel au XXe siècle ou bien sûr en faisant l'exposition sur l'histoire de l'immigration en France en 1998). J'ai théorisé depuis longtemps notre monde relatif, nos identités imbriquées, nos rapports locaux-globaux. Voilà donc d'où je parle (précaution indispensable à notre époque de "politically correct").
Maintenant, parlons de l'exposition EXHIBITIONS. L'invention du sauvage au musée du Quai Branly. C'est l'exemple même de ce qu'il ne faut jamais faire en histoire : prendre un thème (noble en l'occurrence, l'antiracisme) et L'ILLUSTRER. Du coup, les représentations de l'autre sont mêlées (il existe beaucoup "d'autres") et montrées uniformément comme haineuses, avec un total anachronisme, alors qu'elles relèvent d'attitudes différenciées en cercles concentriques : de la haine primaire et vulgaire, oui, mais aussi, à l'autre bout, de la description fidèle, de la fascination, de l'empathie. On aurait gagné à comprendre ces strates et les évolutions dans le temps. On aurait aimé aussi du comparatisme. Voilà donc de l'histoire vieillotte, idéologique comme jadis dans les pays de l'Est, de l'histoire-marketing, du business des bons sentiments à l'égal de l'infect charity business dénoncé aux Etats-Unis.
C'est grave parce qu'une exposition de ce type va sembler "courageuse". Elle enfonce en fait des portes ouvertes. Elle instrumentalise l'histoire en pratiquant l'anachronisme et la décontextualisation. Elle méprise les "images" qui deviennent juste des illustrations, souvent forcées ou sans objet. Un vrai travail aurait consisté à tenter de comprendre leur sens au moment de leur réalisation, leurs publics et d'étudier leur diversité.
Quant à l'exhibition des humains comme les animaux, elle n'a jamais été qualifiée de "zoos humains" à l'époque et n'a évidemment pas le même sens à la fin du XIXe siècle et aujourd'hui. Pour comprendre la distance à mettre, deux expériences contraires : en 2001, j'aide les musées sud-africains à se transformer alors que les populations autochtones apparaissent seulement dans les dioramas des musées d'histoire naturelle et l'art commence avec l'art hollandais du XVIIe siècle ; en 2002, à Ouagadougou, le directeur du parc national me montre des villages en construction qui, habités, permettront aux visiteurs de découvrir la diversité des populations du pays.
Le courage n'est donc pas dans la caricature et la négation d'un travail historique scrupuleux. Elles ne peuvent qu'attiser les ressentiments. Le courage consiste à affirmer la non-reconnaissance et la non-connaissance de l'histoire longue des autres continents, la négation de leurs cultures (on expose des objets en ignorant délibérément leur fonction et leur sens), l'acculturation volontaire en continuant à imposer à des populations isolées (en forêt amazonienne, par exemple) une éducation occidentale niant leur savoir parfaitement adapté à leur environnement.
Alors, marquons un coup d'arrêt à l'histoire-marketing, dévoiement total du travail historique dans l'anachronisme et encourageons les travaux de connaissances réciproques rigoureux respectant tous les passés.
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03 : 11 : 11 |
 La revanche du réel |
EXP !
Nos petits poings
Oui, nous n'avons que nos petits poings pour nous défendre et nos gants
chamaniques pour y croire. Pendant ce temps-là, dans la stratosphère --là où
nous ne comprenons rien, ou que trop-- les annonces de catastrophes se
succèdent. Alors, chacune et chacun se recroqueville sur l'essentiel : son
univers visible, ce qui nous atteint directement et ce sur quoi nous avons
prise.
Retour au local
Cette conversion à l'univers limité d'intervention deviendra d'ailleurs
d'autant plus prégnante que les périls grandiront. Quand les superstructures
s'effondrent, le troc, les micro-organisations de pénurie prospèrent. Alors,
tous découvrent l'abstraction de l'argent.
Dépérissement de la valeur argent
La traduction de tous les actes en argent --sans d'ailleurs quantifier la
valeur réelle de ce qui y échappe-- bâtit une société très inégalitaire avec de
l'argent réel trop rare et de l'argent virtuel trop abondant. Redonner sa
valeur aux choses, c'est aussi concevoir des échanges de générosités, des
solidarités géographiques, une conjugaison des générations. Ainsi d'ailleurs,
les cultures reprennent leur vrai poids et sortent d'une logique de guichet
pour lobbies très minoritaires. Ainsi, nous bâtissons des entreprises éthiques
et des administrations efficaces, sous l'impulsion de consommateurs-acteurs
dans un bouleversement de la relation travail-loisir.
Le local-global : des actions en réseau
Les typhons, les accidents nucléaires ou financiers dépassent largement les
frontières. Aussi, le pendant indispensable du retour au local est la
conjonction des initiatives pour peser sur les enjeux globaux. Plus personne ne
s'en "sortira" par la bunkerisation. Aucune muraille --réelle ou
virtuelle-- n'est assez solide. Le communautarisme émietté en égoïsmes concentrés
et rivaux se révèle aussi dangereux que la paupérisation de masse par une
globalisation injuste économiquement et destructrice des différences
culturelles.
Repenser des vivre-en-commun divers, relatifs, expérimentaux, évolutifs
Pour qui voit juste, les crises successives du communisme soviétique et du
capitalisme financier sont des chances propres à dessiner d'autres perspectives
à nos sociétés déprimées, de consommateurs addicts décervelés perpétuellement
insatisfaits. Il est temps en effet d'ouvrir les cervelles et de sortir de nos
petites technocraties à court terme. Il est temps de balayer les vieux grigous
de droite et de gauche qui nous bassinent avec leurs incapacités et leur
impuissance depuis des dizaines d'années, qui se trompent tout le temps, qui
disent impossible ce qui se produit le lendemain.
Balayons les résignés, les prophètes du passé
Il faut une rupture générationnelle (dont je parlais déjà en 2005) pour
entrer dans notre univers en bascule et s'y investir dans une conjugaison des
générations. Les paramètres se modifient, modifions les points de vue. Et
partout, à tout âge, elles et ils se mobiliseront sur de nouveaux objectifs
locaux-globaux, mus par autre chose que l'argent.
L'indignation, ça suffit ! Devenons des EXPERIMENTATEURS.
(www.see-socioecolo.com)
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UTILE !
Une expo gratuite de 52 posters téléchargeable en ligne
sur www.agroparistech.fr /
Musée du Vivant et le livre à acheter sur ce site (voir livres)
UNE HISTOIRE GENERALE DE
L'ECOLOGIE EN IMAGES
Un somme indispensable à
connaître aujourd'hui : les humains et leur environnement depuis la préhistoire
Commençons la révolution du savoir
contre tous les obscurantismes !
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