23 : 12 : 11

L'invisibilité, c'est quoi ?

Cela fait plusieurs années que je décris la forme d’ « invisibilité » actuelle, par exemple dans la partie sur "les invisibles" du film L'Info est-elle comestible ? projeté depuis 2009. C’est d’ailleurs probablement à cause de cette réalité que j’ai dû passer de travaux sur l’analyse des images à l’analyse des médias, puis à des positions politico-philosophiques (www.see-socioecolo.com) insistant sur trois notions : justice, proximité, durabilité.

L’invisibilité, la non-représentation d’une partie importante de la population est évidemment ancienne : c’est le corps anonyme du peuple dans nos systèmes pyramidaux depuis le Néolithique. Il s’y ajoute un autre élément à partir de la Révolution française : la revendication d’une figuration du peuple et celle d’une expression populaire (voir d’ailleurs à cet égard la très intéressante exposition actuelle du Musée Carnavalet sur Le Peuple de Paris au XIXe siècle). Entre la fin du XIXe siècle avec les mouvements socio-anarchistes et l’entre-deux-guerres (des personnalités comme Henry Poulaille ou les appels à un « réalisme socialiste »), la volonté de montrer le travail et les masses travailleuses ainsi que parfois celle de les faire s’exprimer (« littérature prolétarienne » de Poulaille) balance de l’hagiographie enrôleuse à la dénonciation des conditions de vie.

Qu’est-ce qui change aujourd’hui ? Ce qui change est d’ordre social et médiatique. D’un point de vue social –voilà l’aspect le plus éclairé depuis plusieurs années--, des populations hétéroclites majoritaires vivent difficilement, se sentent impuissantes et non écoutées. Ces précarisés sont de trois ordres : celles et ceux qui sont à la rue ou dans des systèmes d’assistanat ; les travailleurs pauvres (et cela touche beaucoup les jeunes même diplômés) ; enfin, toute une partie de la société pouvant être très instruite, travaillant beaucoup, composée des « déclassés » n’ayant pas hérité et donc payant cher leur logement et leur nourriture, alors qu’ils peuvent avoir des postes très qualifiés.

Paradoxalement, les plus visibles sont probablement les premiers, car ils hantent nos rues et nos télévisions. Mais l’angoisse des autres ? Celles et ceux qui ont un logement, une profession, de l’argent, et qui, à plus de 50 ans nourrissent les banques d’agios, débutent les mois ponctionnés de toutes parts, avec juste le droit de se taire pour ne pas être indécents ? Celles et ceux qui vivent des crises à répétition depuis les années 1970 ? Qui ont compris que l’ascenseur social s’arrêtait au 4e et que le 5e étage était réservé à une petite minorité ?

Ils sont invisibles dans un système où les représentants politiques ne peuvent les comprendre car ils n’imaginent pas leurs difficultés. Ils décrochent. Ils décrochent d’autant plus qu’à cette crise sociale s’ajoute une crise médiatique. L’écroulement télévisuel en est le grand responsable : la façon dont la télévision commerciale a aspiré dans l’abîme la télévision publique vers la néantisation culturelle a rendu invisibles des pans entiers de la société. De plus en plus de gens s’expriment, agissent, diffusent, pour de moins en moins de relais. Non pas qu’il y ait eu un « âge d’or », mais parce que le passage de la culture de l’écrit (avec la floraison des revues) à la culture des images a considérablement appauvri l’offre intellectuelle.

Par ailleurs, tandis que la vulgarité et la bêtise individuelle sont étalées comme d’ailleurs une vraie insulte au peuple, nos savants et nos créateurs ne sont nullement des modèles. Nous sommes matraqués de personnel politique (désormais souvent fier d’être inculte), de sportifs, d’actrices ou d’acteurs ou de chanteurs morts. Quid des jeunes créateurs ? Des jeunes musiciens, plasticiens ? Des expérimentateurs sociaux ? Quid des grands savants (et pas des vulgarisateurs de seconde zone qui font de la science marketing) ? Crise des modèles. Crise des valeurs.

Nous passons pourtant de la « société du spectacle » aux sociétés des spectateurs-acteurs. Avec Internet, les possibilités d’expression, de diffusion, de création sont immenses. Le niveau de maîtrise de ces outils s’est beaucoup développé. La société des loisirs (comme d’ailleurs le système éducatif) a incité aux pratiques multimédias. Chacune et chacun s’exprime à longueur de journée. Du coup, tout le monde écrit son roman, pratique la photo, le théâtre ou la peinture, lance des idées. Sans effet : l’abondance de l’offre tue le choix. La frustration grandit.

La quantité aujourd’hui noie la perception de la qualité et même son identification. Picasso peut mourir jeune au Bateau-Lavoir : en dehors même de l’écroulement télévisuel (et de ses conséquences dans la « peoplisation » en boucle), nul critique honnête et sérieux n’a la capacité de rendre compte de l’immensité de la production actuelle. La submersion est la première des censures.

Voilà pourquoi il existe une double peine des invisibles : une peine sociale et une peine médiatique. Peine sociale car le mérite ne sert plus à rien et le décrochage s’accélère pour une frange considérable. C’est bien un travail sur la justice qui s’impose là, depuis l’école jusqu’aux règles sociales dans l’Etat et dans les entreprises. Les consommateurs-acteurs et les citoyens-acteurs doivent y inciter par une reprise en mains des actions locales. L’éveil politique n’est pas la révolution dangereuse du lointain, ni d’ailleurs le repli protectionniste sur l’Etat ou la tentation communautaire autarcique, mais la multiplicité des expérimentations locales qui parlent à tous dans un rapport local-global. Là, cessent l’impuissance et la peur.

Et la peine médiatique ? Elle vient du fait que tous s’expriment dans le vide. Alors, au temps des sociétés de spectateurs-acteurs, il devient nécessaire de multiplier les structures locales de valorisation pour aider à une diffusion globale. J’avais appelé dans un article sur « un ministère des cultures » à la nécessité de mixer des jurys tirés au sort dans la population et des jurys de professionnels pour ouvrir le champ des sélections. Dans tous les domaines en fait, la majorité de la population a le sentiment du « cause toujours » avec des systèmes bloqués.

Il est imputable aux médias, bien sûr, qui tournent en rond autour de ce qui « marche » (parce qu’il faut vivre) --qui est aussi ce dont ils parlent. Mais pas seulement. Il est imputable à l’absence totale à l’ère d’Internet de ces structures intermédiaires d’expression.

Au temps de la crise économique, il est donc temps que la justice légitime la pénurie prévisible. La durabilité aussi. Mais il est temps également que les spectateurs-acteurs, les consommateurs-acteurs, se réveillent pour reprendre en mains les pratiques et les choix locaux dans des échanges locaux-globaux. L’Etat doit devenir à la fois ce régulateur et ce passeur.

Alors, nous changerons la perception d’une poudrière sans perspective qui est celle des 99%. En effet, sans visibilité, laissée à l’aveuglement des puissants, la somme des individualités risque sinon de s’égarer dans des aventures de groupe retombant sur des pratiques extrêmes autoritaires (de droite ou de gauche, religieuses ou laïques) à l’avenir tristement prévisible. De l’indignation, passons, avec visibilité, à l’expérimentation du local-global.

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07 : 12 : 11

GOUVERNER. Les invisibles prennent la parole

L'Apocalypse, et après ? Cela fait quarante ans qu'on nous enfume avec les crises, qu'on nous réduit à l'idéologie de l'impuissance, à la passivité de la consommation addictive. Réveillons-nous ! Organisons autrement le local, prenons en mains  notre quotidien en devenant consommateurs-acteurs, spectateurs-acteurs. Les bulles financières ne sont pas notre monde qui est celui des valeurs matérielles et immatérielles. Conjuguons les générations.

Allez voir la rubrique "idées, philo, politique (lectures gratuites)" sur ce site et diffusez les textes, rejoignez les socio-écologistes de SEE, imaginez à nouveau en arrêtant de subir ! Demain sera ce que nous en ferons.


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28 : 11 : 11

Les dérives de l'histoire-marketing

Posons les choses. J'ai organisé l'exposition "Images et colonies" en 1993, faisant confiance alors aux membres de l'ACHAC, puis celle du Musée historique du Sénégal avec mon ami Abdoulaye Camara dans l'ïle de Gorée. J'ai travaillé sur l'exotisme et les représentations de l'autre (par exemple, dans Histoire du visuel au XXe siècle ou bien sûr en faisant l'exposition sur l'histoire de l'immigration en France en 1998). J'ai théorisé depuis longtemps notre monde relatif, nos identités imbriquées, nos rapports locaux-globaux. Voilà donc d'où je parle (précaution indispensable à notre époque de "politically correct").

Maintenant, parlons de l'exposition EXHIBITIONS. L'invention du sauvage au musée du Quai Branly. C'est l'exemple même de ce qu'il ne faut jamais faire en histoire : prendre un thème  (noble en l'occurrence, l'antiracisme) et L'ILLUSTRER. Du coup, les représentations de l'autre sont mêlées (il existe beaucoup "d'autres") et montrées uniformément comme haineuses, avec un total anachronisme, alors qu'elles relèvent d'attitudes différenciées en cercles concentriques : de la haine primaire et vulgaire, oui, mais aussi, à l'autre bout, de la description fidèle, de la fascination, de l'empathie. On aurait gagné à comprendre ces strates et les évolutions dans le temps. On aurait aimé aussi du comparatisme. Voilà donc de l'histoire vieillotte, idéologique comme jadis dans les pays de l'Est, de l'histoire-marketing, du business des bons sentiments à l'égal de l'infect charity business dénoncé aux Etats-Unis.

C'est grave parce qu'une exposition de ce type va sembler "courageuse". Elle enfonce en fait des portes ouvertes. Elle instrumentalise l'histoire en pratiquant l'anachronisme et la décontextualisation. Elle méprise les "images" qui deviennent juste des illustrations, souvent forcées ou sans objet. Un vrai travail aurait consisté à tenter de comprendre leur sens au moment de leur réalisation, leurs publics et d'étudier leur diversité.

Quant à l'exhibition des humains comme les animaux, elle n'a jamais été qualifiée de "zoos humains" à l'époque et n'a évidemment pas le même sens à la fin du XIXe siècle et aujourd'hui. Pour comprendre la distance à mettre, deux expériences  contraires : en 2001, j'aide les musées sud-africains à se transformer alors que les populations autochtones apparaissent seulement dans les dioramas des musées d'histoire naturelle et l'art commence avec l'art hollandais du XVIIe siècle ; en 2002, à Ouagadougou, le directeur du parc national me montre des villages en construction qui, habités, permettront aux visiteurs de découvrir la diversité des populations du pays.

Le courage n'est donc pas dans la caricature et la négation d'un travail historique scrupuleux. Elles ne peuvent qu'attiser les ressentiments. Le courage consiste à affirmer la non-reconnaissance et la non-connaissance de l'histoire longue des autres continents, la négation de leurs cultures (on expose des objets en ignorant délibérément leur fonction et leur sens), l'acculturation volontaire en continuant à imposer à des populations isolées (en forêt amazonienne, par exemple) une éducation occidentale niant leur savoir parfaitement adapté à leur environnement.

Alors, marquons un coup d'arrêt à l'histoire-marketing, dévoiement total du travail historique dans l'anachronisme et encourageons les travaux de connaissances réciproques rigoureux respectant tous les passés.

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03 : 11 : 11

La revanche du réel

EXP !

Nos petits poings

Oui, nous n'avons que nos petits poings pour nous défendre et nos gants chamaniques pour y croire. Pendant ce temps-là, dans la stratosphère --là où nous ne comprenons rien, ou que trop-- les annonces de catastrophes se succèdent. Alors, chacune et chacun se recroqueville sur l'essentiel : son univers visible, ce qui nous atteint directement et ce sur quoi nous avons prise.

Retour au local

Cette conversion à l'univers limité d'intervention deviendra d'ailleurs d'autant plus prégnante que les périls grandiront. Quand les superstructures s'effondrent, le troc, les micro-organisations de pénurie prospèrent. Alors, tous découvrent l'abstraction de l'argent.

Dépérissement de la valeur argent

La traduction de tous les actes en argent --sans d'ailleurs quantifier la valeur réelle de ce qui y échappe-- bâtit une société très inégalitaire avec de l'argent réel trop rare et de l'argent virtuel trop abondant. Redonner sa valeur aux choses, c'est aussi concevoir des échanges de générosités, des solidarités géographiques, une conjugaison des générations. Ainsi d'ailleurs, les cultures reprennent leur vrai poids et sortent d'une logique de guichet pour lobbies très minoritaires. Ainsi, nous bâtissons des entreprises éthiques et des administrations efficaces, sous l'impulsion de consommateurs-acteurs dans un bouleversement de la relation travail-loisir.

Le local-global : des actions en réseau

Les typhons, les accidents nucléaires ou financiers dépassent largement les frontières. Aussi, le pendant indispensable du retour au local est la conjonction des initiatives pour peser sur les enjeux globaux. Plus personne ne s'en "sortira" par la bunkerisation. Aucune muraille --réelle ou virtuelle-- n'est assez solide. Le communautarisme émietté en égoïsmes concentrés et rivaux se révèle aussi dangereux que la paupérisation de masse par une globalisation injuste économiquement et destructrice des différences culturelles.

Repenser des vivre-en-commun divers, relatifs, expérimentaux, évolutifs

Pour qui voit juste, les crises successives du communisme soviétique et du capitalisme financier sont des chances propres à dessiner d'autres perspectives à nos sociétés déprimées, de consommateurs addicts décervelés perpétuellement insatisfaits. Il est temps en effet d'ouvrir les cervelles et de sortir de nos petites technocraties à court terme. Il est temps de balayer les vieux grigous de droite et de gauche qui nous bassinent avec leurs incapacités et leur impuissance depuis des dizaines d'années, qui se trompent tout le temps, qui disent impossible ce qui se produit le lendemain.

Balayons les résignés, les prophètes du passé

Il faut une rupture générationnelle (dont je parlais déjà en 2005) pour entrer dans notre univers en bascule et s'y investir dans une conjugaison des générations. Les paramètres se modifient, modifions les points de vue. Et partout, à tout âge, elles et ils se mobiliseront sur de nouveaux objectifs locaux-globaux, mus par autre chose que l'argent.

L'indignation, ça suffit ! Devenons des EXPERIMENTATEURS.


(www.see-socioecolo.com)

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UTILE !

Une expo gratuite de 52 posters téléchargeable en ligne sur www.agroparistech.fr / Musée du Vivant et le livre à acheter sur ce site (voir livres)

UNE HISTOIRE GENERALE DE L'ECOLOGIE EN IMAGES

Un somme indispensable à connaître aujourd'hui : les humains et leur environnement depuis la préhistoire

Commençons la révolution du savoir

contre tous les obscurantismes !

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03 : 11 : 11

Pourquoi canoniser Pierre Nora ?

 [cet article sur le retour de l'histoire a été publié le 1er novembre 2011 dans lemonde.fr]

Il y eut l’entrée à l’Académie française. Avec la sortie du livre de François Dosse (au titre paradoxal : Homo historicus), puis ses propres recueil et autobiographie, nous assistons à une entreprise de canonisation de Pierre Nora. Pourtant, il n’est apparemment pas en si mauvaise santé qu’il faille le rassurer à toute force sous les honneurs. Beaucoup d’ailleurs, d’un autre côté, ruminent dans l’ombre, en attendant sa disparition pour lancer leurs assassinats posthumes.

Au contraire de ces démarches peu courageuses, tentons aujourd’hui d’analyser les  différents aspects du phénomène, car ils dépassent l’individu et permettent de considérer plus largement quelles sont les pistes d’avenir pour la science historique. D’abord, il existe un problème de définition : Pierre Nora n’est pas un historien au sens traditionnel du terme. Il n’a pas écrit de livre-somme historique. Il n’a pas fait de recherches dans les archives, bibliothèques ou musées et ne s’en cache pas. Pierre Nora est un éditeur talentueux, capable de diriger des ouvrages, d’animer des collections et des revues, de faire articles et préfaces. Il a promu de beaux esprits, tel Francis Haskell, néanmoins il garde aussi ses parts de cécité.

Ainsi l’histoire globale lui échappe, car son propos est resté très national. Pour beaucoup, que sont Les lieux de mémoire si ce n’est un inventaire au second degré d’une « francitude » née au XIXe siècle ? En ce sens, ces « lieux » sont dangereux à deux titres. D’une part, ils partent d’un périmètre défini artificiellement en fonction des instrumentalisations et relectures opérées depuis 200 ans sur notre identité nationale. Ainsi, de fait, beaucoup de ces notions n’ont pris du poids qu’avec une récupération anachronique postérieure. Ce serait donc une forme de florilège des mésusages de l’histoire dans une sorte de post-modernité de la discipline. Beaucoup de ces « lieux » ont, de plus, perdu tout sens dans la France d’aujourd’hui et, pour certains, cela est heureux. L’histoire ne s’est pas arrêtée, heureusement.

D’autre part, Pierre Nora a senti lui-même, dès sa préface au premier volume, que mémoire et histoire n’étaient en aucun cas de même nature. L’histoire est une « reconstruction problématique du passé ». La mémoire est un « absolu » qui peut même s’autoriser l’erreur factuelle par une reconstruction mémorielle idéalisée. En fait, la mémoire est un document à interroger parmi d’autres documents par l’historien (dont les documents visuels encore trop souvent négligés). Elle n’a aucune légitimité à prendre le pas sur le travail d’histoire. A cet égard, le développement singulier dans notre pays nostalgique de la notion de « mémoire » a probablement surpris l’organisateur des « lieux ». Il en a été flatté mais il a vu aussi que cela ne « prenait » pas dans beaucoup d’autres pays étrangers ayant surtout besoin d’histoire, besoin d’une histoire indépendante. De surcroît, il s’est vite aperçu –car son intelligence est vive, volontiers cruelle d’ailleurs, même avec lui-même– que les dangers étaient grands sous deux aspects : la négation du travail de l’historien et la mise sous tutelle de l’histoire par des querelles communautaires violentes, bref l’explosion du vivre-en-commun, du pacte républicain.

Alors, Pierre Nora s’est-il contredit lui-même en succédant à René Rémond à la tête de l’association « Liberté pour l’histoire » ? Il a en tout cas constaté les dégâts présents et futurs de mémoires récupérées par des groupes de pression et des politiques, visant à contraindre le travail scientifique. Ainsi, au lieu que l’histoire et ses évolutions permettent d’éclairer les opinions publiques et le monde éducatif, les « mémoires » viennent brutalement imposer des dogmes en interdisant tout débat. De plus, la victimisation des aïeux signifierait-elle vertu présente, ce qui placerait chaque bébé face à des passés impossibles à solder ? L’histoire, au lieu de nous inviter à réfléchir, deviendrait alors une idéologie figée. Le directeur du Débat a indéniablement craint que ces lieux de mémoire deviennent des lieux de déboires, détricotage du tissu national comme de la science historique.

Mais, disons-le pour parfaire cette mise en perspective, Pierre Nora –lucide sur les dérives mémorielles-- n’a pas encore discerné les nécessités prioritaires pour le futur du travail historique. Le dernier festival de Blois l’a montré, où il s’est retrouvé assez décalé par rapport aux tenants de l’histoire globale. Et pourtant, il devient urgent aujourd’hui d’ouvrir les travaux historiques vers deux champs essentiels : l’histoire stratifiée du local au global et l’histoire du visuel liée à l’histoire des traces écrites ou sonores. L’histoire stratifiée est une manière de délivrer des repères désormais indispensables sur la longue durée. Elle est aussi une histoire-territoire. Elle débute avec une histoire locale, de l’apparition humaine jusqu’à aujourd’hui. Cela est indispensable tant à Mayotte qu’à Perpignan ou Dunkerque, pour tous les enfants de nos classes d’ailleurs : savoir où l’on habite. Cette histoire est liée avec l’histoire du territoire national et de la construction de l’idée de Nation. Elle prend en compte l’histoire continentale et s’inscrit dans une histoire mondiale.

L’histoire visuelle accompagne ces travaux. Pourquoi devient-elle nécessaire aujourd’hui, primordiale non pas comme une illustration superfétatoire de l’histoire ou une branche sympathique de l’histoire culturelle ? Parce que nous et nos enfants vivons dans l’ubiquité perpétuelle entre un monde directement visible et la représentation d’autres univers à distance. Parce que cette réalité est un phénomène exponentiel décuplé avec la télévision et Internet, un phénomène qui mêle toutes les époques, tous les supports, toutes les civilisations sur le même écran. Avoir des repères chronologiques et géographiques devient donc fondamental, non plus comme un aspect périphérique, mais comme un apprentissage de base, à côté du monde de l’écrit ou des chiffres, dans ce que nous pouvons dénommer une « boussole éducative ».

Ne nous trompons donc pas d’enjeu. Et comprenons chez Pierre Nora ce que fut sa lucidité critique, mais aussi les deux objectifs prioritaires aujourd’hui, à la fois pour la recherche et pour éduquer de futurs citoyens ou pour des apprentissages nécessaires tout au long de la vie.

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25 : 09 : 11

Haut les mains les artistes !

Un ministère des cultures :

une politique de la diversité et des repères

pour porter le local vers le mondial

[ce texte est à faire circuler, soutenez-le sur ce site, envoyez-le aux candidats à la présidentielle]


La crise ? La crise ? Cela fait depuis 1973 que nous en entendons parler, soit presque 40 ans. La litanie, depuis cette date, fut celle de l’impuissance : puisque c’est la crise, ne bougeons rien, terrons-nous frileusement pour essayer de passer entre les gouttes. Et si, au contraire, il s’agissait de l’occasion d’une formidable mutation sur les deux aspects fondamentaux aujourd’hui : la justice et le développement durable ? Et s’il s’agissait du moment adéquat pour mobiliser les énergies en repensant les modes de vie ? Et si la culture –les cultures—avait un rôle essentiel à jouer dans ces métamorphoses planétaires ?

La crise : une chance ? Le grand réveil

L’argent rare est probablement l’occasion de réfléchir, d’une part à sa répartition, d’autre part au fait que les rapports humains sont basés sur beaucoup d’actes non monétaires et que cette polarisation mercantile est néfaste en ignorant des plus-values considérables d’une autre nature. Nous mesurons trop et nous mesurons mal.

La crise, l’argent raréfié, sont justement l’occasion de penser et mettre en œuvre des organisations différentes dans tous les domaines. D’abord –tous les candidats l’affirment, mais pour quels effets ?-- jouer cartes sur table en repensant une fiscalité juste. Ensuite, en définissant des priorités et des objectifs pour l’emploi de l’argent public. C’est l’occasion de conforter un Etat efficace, redevable devant tous, d’autant qu’il est le fruit des efforts collectifs.

C’est aussi le moment de repenser le tissu général des entreprises, d’organiser les consommateurs-acteurs, d’inciter à l’éthique, à la redistribution interne des bénéfices, à des réflexes de défense des productions locales. Le retour au local –un local aux prises avec le monde, en aucun cas fermé—est la base d’une redynamisation des énergies citoyennes, car chacune et chacun peut agir sur l’univers directement visible, sur ce qui l’entoure. Il est temps de penser, non pas une rétro-croissance mais des croissances diversifiées suivant les lieux (de même qu’il convient aussi de penser des agricultures diversifiées). Les processus coopératifs ou mutualistes devraient retrouver une forte actualité. C’est ce que SEE (les socio-écolos : www.see-socioecolo.com) a développé.

Citons quelques exemples d’objectifs urgents dans cette reconstruction de nos liens sociaux. D’abord, briser la dichotomie travail/loisirs comme s’il y avait un Enfer d’un côté et un Paradis de l’autre. Il est possible de revoir partout l’organisation des tâches pour supprimer les travaux uniquement pénibles physiquement ou psychologiquement. Aux syndicats de s’atteler à cette tâche prioritaire qui pèse sur la vie quotidienne de chacun. Disons-le : le travail peut être un outil d’épanouissement, d’évolution, de connaissance.

Ensuite, il existe une question générationnelle désormais, entre des jeunes dans le système éducatif, des jeunes à la recherche d’un travail, des adultes au travail, des adultes sans travail, des retraités en pleine possession de leurs moyens physiques et mentaux, des retraités en longue maladie ou en phase terminale d’une vie très longue. Il faut penser la conjugaison des générations et l’utilité sociale de chacune et chacun.

Tout cela correspond à un grand réveil collectif nécessaire, dépassant des antagonismes périmés pour inventer de nouvelles voies au vivre en commun, des voies dans lesquelles toutes et tous se sentent impliqués.

Voyons donc plus précisément comment ce réveil peut s’appliquer aux domaines culturels, curieusement très absents des programmes, avec une droite sans politique claire hormis les coupures de crédits et une gauche timorée parce que « c’est mal vu d’aller arroser d’argent les saltimbanques quand les SDF peuplent les rues et les classes moyennes tirent la langue ». Je crois que c’est surtout le fruit de mauvaises habitudes et d’une vision erronée du rôle de la culture dans nos sociétés, de ce qu’est la formidable plus-value culturelle, son rôle premier dans le lien social et sa capacité à faire image et tirer l’économie.

Sortir de la conception d’une culture-guichet, des faits du Prince et du mépris des populations

La culture fut un en-soi des civilisations urbaines et pyramidales nées après la sédentarisation du Néolithique. Elle accompagna le mythe du Progrès et le rêve prométhéen des humains : l’illusion de dominer la nature. Elle se développa aussi bien à travers les monuments érigés par les puissants que par les coutumes populaires (musique, parures, habitats, cérémonies, langages…). Et la circulation des individus et des objets fut le facteur d’un système d’influences généralisé qui –quelles que soient les novations—fait qu’il n’existe pas de civilisation « pure ». Aujourd’hui moins que jamais, au temps de la circulation planétaire des objets et des images.

Le danger présent est double à cet égard : soit une acculturation généralisée dans l’uniformisation d’une consommation « moyenne » passive ; soit l’émiettement communautariste (l’effet « Amish ») où chacune des communautés veut s’approcher de l’autarcie. Il existe pourtant une solution qui conjugue les deux nécessités : la localglobalisation, c’est-à-dire la réaffirmation de l’importance du local et de la singularité individuelle (notre capacité de choix éclairés grâce à l’éducation à tout âge et d’évolutions), dans un système d’échanges planétaires.

Désormais, les conceptions évolutionnistes et environnementalistes ont apporté les notions de relativité –surtout pas de société parfaite—et de mobilité –le vrai développement est celui des échanges, échanges de biens, mais échanges de connaissances et de modes de vie. Nos identités imbriquées choisissent et changent. Du coup les codes culturels, à la fois s’uniformisent avec l’internationalisation des produits industriels et explosent en une myriade de déclinaisons individuelles.

Le piège d’un ministère de la Culture, tel qu’il est organisé en France, est d’être devenu un bailleur de fonds arbitre des élégances. Or, la conception d’un ministère de la Culture-guichet pour clientélisme actif, financeur de lobbies, est choquante et paralysante pour l’action publique. Ce n’est pas au ministère de la Culture de décider ce qui est culturel ou ne l’est pas. Son rôle est d’aider toutes les émergences culturelles. D’autre part, l’argent public sert bien sûr à pérenniser des métiers et des emplois, mais il peut aussi soutenir et encourager la diversité. Voilà pourquoi la répartition entre des actions structurantes et des pôles d’excellence ayant besoin d’une aide continue et l’autre versant, celui de l’encouragement aux micro-initiatives, à l’innovation, est à repenser.

L’argent rare signifie l’argent efficace et l’équilibre des dépenses. Le pire dans ce domaine tient dans la non-visibilité et dans l’inconstance. L’argent rare –ou pas rare d’ailleurs—suppose l’efficacité et l’impartialité des choix. La question dépasse d’ailleurs simplement l’aspect financier. Certes, comme le relève justement Guillaume Cerutti dans la revue Commentaire (n°135), le budget du ministère stagne alors que les charges augmentent, provoquant la paralysie. Mais le plus grave est le manque de vision, l’absence de stratégie. J’avais défini trois objectifs jadis pour réformer (voir Le Monde du 14 janvier 2008). Faisons le point.

Faut-il supprimer le ministère de la Culture ? Cela peut s’envisager en pensant que les financements deviennent exclusivement locaux, publics ou privés, ou dans des actions structurantes européennes. Cela s’envisage d’autant plus aujourd’hui (2011) où il est devenu quasi fantoche en France, où chacun observe le marasme d’autant que l’ultra-activisme brouillon de la présidence de la République a nié compétences et expertises. Mais il s’agirait d’un dépérissement des Etats-Nations tels que le XIXe siècle nous les a légués. En poursuivant ce raisonnement, la logique voudrait alors que le dialogue s’instaure entre le local et un système fédéré planétaire. D’une part nous n’y sommes pas prêts, d’autre part ce serait faire injure aux aspects positifs de l’Etat-Nation, loin des seuls conflits barbares, des guerres civiles européennes et des crimes coloniaux. Le rassemblement national, le message républicain, nous a soudés en luttant contre la barbarie et aussi en portant à travers le monde un message émancipateur.

Pour autant, il existe trois points qui doivent cesser : la culture-guichet (nous l’avons évoqué), les faits du Prince et le mépris du peuple.

Remettre en question la culture-guichet, c’est repenser le tissu national. Il n’a de sens qu’avec des pôles d’excellence structurants répartis sur l’ensemble du territoire (généralement en partenariat avec les collectivités locales) à côté d’un soutien aux initiatives émergentes. L’Etat doit tenir ce rôle. La survie du message républicain (contre le retour aux chamailleries picrocholines de duchés concurrents) passe par un tel élan collectif de clarification. Cela suppose de dialoguer avec les organisations et les régions pour éviter les redites et les déséquilibres. Cela permet au ministère de faire un travail de conseil et d’accompagnement. Des commissions réellement indépendantes et renouvelées (tous les 2 ou 3 ans) doivent permettre d’éviter les lobbies qui sont juges et partie : par exemple, faut-il rénover tout le patrimoine au risque de la disneylandisation des territoires ? Ces commissions sont de deux natures : des commissions professionnelles spécialisées et des commissions par tirage au sort dans la population pour des bancs d’essai nécessaires aux créations émergentes.

Il faut en effet sortir des faits du Prince, au niveau national ou au niveau local. Non qu’une impulsion soit inutile mais parce que les choix des Princes doivent être éclairés pour sortir d’une offre parisienne pléthorique et de caprices provinciaux redondants. Alors, des initiatives comme le Quai Branly valorisant des collections dispersées dans un projet culturel (même discuté) ou le centre de la bande dessinée d’Angoulême jouant un rôle pilote sur un support essentiel, pourront se développer.

Le fait du Prince est lié aussi au mépris du peuple. Cela se traduit par des initiatives capricieuses et dispendieuses qui ne sont souvent pas des besoins. Cela se traduit –surtout dans l’époque actuelle—par des nominations à la tête des établissements de personnes non qualifiés dans un mépris total des professionnels. Cela se traduit par un rejet grossier des compétences et du savoir. Cela se traduit enfin par un mépris du peuple, considéré comme ignare, sans culture et sans désir de culture, autre que dans la curiosité touristique.

Contre ce dernier point, il faut associer la population –je l’ai indiqué plus haut—aux décisions concernant les bancs d’essai. Il faut également ne pas avoir peur de défendre la création locale, ouvrir à toutes les formes de cultures populaires. Bien sûr, ne pas s’enfermer dans ce critère et inviter des créateurs nationaux et internationaux car les échanges sont essentiels, mais défendre résolument aussi les créateurs locaux. A cet égard, la France est un des rares pays dont les structures publiques sont souvent totalement rétives à la création locale vue de façon extrêmement péjorative par rapport à d’autres qui viendraient d’au-delà des océans. C’est ridicule et cela doit cesser.

Comme doivent cesser ces barrières obsolètes entre le « high » et le « low », barrières à double sens. Il ne s’agit pas de tout confondre –les expressions ne sont pas de même nature-- mais de tout respecter. A cet égard, la notion de « cultures » permet de reconnaître la qualité des créateurs de bandes dessinées ou de jeux vidéo, comme celle des musiciens classiques, des spectacles comiques comme la danse contemporaine ou traditionnelle. Cela prend en compte les identités imbriquées de chacune et chacun et nos goûts hybrides (aimer le football et la photographie, le rap et la culture zen). Ce n’est pas baisser les bras sur la qualité, mais éviter les ostracismes ridicules : mépriser la musique techno en bloc ou rejeter par principe toute exposition de peinture européenne ancienne.

Enfin, l’éducation a un rôle central à jouer, comme la visibilité médiatique avec la valorisation du savoir et de la création. L’éducation se fait à tout âge et doit se faire à tout âge dans notre monde mouvant. Les repères sont indispensables pour analyser son environnement. Ils sont la condition première de choix individuels éclairés. L’ignorance favorise les manipulations mentales, la surconsommation addictive écervelée, les sectes, l’esclavagisme.

Le mépris du peuple est un présupposé d’inculture. Cela se combat de deux manières. D’abord, nous l’avons dit, en incluant la culture populaire dans les faits culturels (du fromage au lait cru au rap). Ensuite, en arrivant à mêler les faits culturels entre eux : placer un orchestre de musique dite classique ou jazz lors d’une fête aux saucissons fermiers, parler de peinture religieuse du XVIIe siècle à l’occasion de la sortie d’un film, lier la bande dessinée Tintin à son contexte historique ou Miyazaki à l’écologie... Enfin, en donnant des repères à tout âge, en ne pensant pas que l’idéal populaire est l’ignorance –ce qui est une insulte à tous les citoyens. Mais en arrêtant l’abrutissement bas de gamme destiné à faire des consommateurs névrotiques passifs, pour offrir des outils de compréhension du monde qui en feront des consommateurs-acteurs, des spectateurs-acteurs. Il faut démoder l’imbécillité et la vulgarité !

C’est une réforme sévère en tout cas du service publique télévisé qui doit s’opérer, pour insuffler de l’innovation, cesser de copier les chaînes privées dans leurs pires tendances, arrêter de ne s’adresser qu’aux publics âgés captifs, ne plus fermer ces écrans à toute la création émergente. Nous y reviendrons.

Du côté des savoirs, il devient urgent d’affirmer l’aspect indispensable d’une boussole éducative. Elle doit servir à donner des bases aux enfants, mais doit guider aussi dans le courant de la vie. Lire, écrire, compter, certes, mais aussi se situer dans le temps (notions d’histoire, « stratifiée » du local au global), dans l’espace (géographie et environnement), dans les sons (histoire mondiale des musiques), dans le visuel (histoire mondiale de la production visuelle humaine), en complément des activités du corps (gymnastique), d’initiation aux langues (et donc à l’ailleurs et aux autres) et à la diversité des goûts (cantines avec des produits locaux, des recettes locales et ouvertes sur le monde). Plus âgé, cette boussole se complète par l’histoire des philosophies et des religions –comprendre la pluralité de visions du monde-- et bien sûr d’autres spécialités.

Voilà le socle commun indispensable à l’honnête citoyen du XXIe siècle pour commencer dans la vie, choisir de façon éclairée, et apprendre, rester curieux.

C’est ainsi à une remise en mouvement d’ensemble que nous appelons. Un réveil, un big-bang. Sur quelles bases concrètes ?

Trois axes politiques majeurs se dégagent, correspondant à l’organisation future d’un ministère rénové : la défense de la diversité ; les patrimoines, le tourisme et les industries culturelles ; les médias et le développement international. Tous les trois se recoupent, mais ce sont là des objectifs centraux justifiant une politique d’Etat aujourd’hui.

Pourquoi défendre la diversité et comment le faire ? Un ministère de passerelles

Contrairement à ce qu’on a pensé longtemps, la quantité n’est pas le choix, l’abondance n’est pas la liberté d’expression. L’écologie culturelle consiste à protéger certaines formes anciennes (traditions et savoir-faire en perdition) et à donner les conditions pour le maximum de choix individuels et l’émergence de formes nouvelles –protéger la liberté qui est toujours menacée. Affirmons-le en ouverture : l’inculture et l’acculturation sont toujours des moyens d’asservir et de fragiliser les plus modestes. La défense des cultures, des expressions minoritaires, est un impératif majeur pour sortir du désespoir, de l’isolement, de la perte des repères. C’est, avec l’éducation, la base d’un projet collectif. Voilà pourquoi nous aspirons à un ministère des cultures, qui exprime bien dans son nom la recherche et la défense de la pluralité des vecteurs et des expressions. Alors que le mot « Culture » au singulier fait penser aux formes nobles et élitistes de la civilisation européenne, le mot « cultures » au pluriel est une façon d’ouvrir le champ aux expressions populaires européennes ou extra-européennes. C’est en soi un plaidoyer pour l’ouverture.

L’écologie culturelle, dans ce sens, n’est pas une frileuse façon de « geler » toutes les expressions du passé dans un conservatisme réactionnaire, un folklorisme figé, mais une manière de préserver tout en permettant des évolutions et des innovations, comme l’écologie sert notamment à sauver la biodiversité, tout en incitant à réinventer les modes de vie, à innover. C’est ce que nous avons appelé le « rétrofuturo » : un dialogue entre passé et futur pour bouger aujourd’hui sur notre planète relative.

Cela correspond à une reterritorialisation, au fait de cesser l’accumulation des grands établissements parisiens mais de penser au renforcement d’établissements structurants sur tout le territoire, là où il se passe tant de choses, tant d’initiatives originales. Cela suppose de s’intéresser à la richesse de l’hexagone et de la Corse mais aussi à la chance que nous avons d’outre-mer situés sur différents continents.

Alors, un ministère des cultures rend fier chacune et chacun localement de ses patrimoines, de ses innovations (les cultures, ce n’est pas uniquement le passé), leur fait connaître aussi, et ouvre sur le monde. Il englobe ainsi de fait le tourisme qui est une conséquence économique de la visibilité du patrimoine matériel et immatériel.

Nous nous situons dans ce qui doit faire probablement une des fiertés du continent européen (et aussi nord-américain), l’héritage des penseurs des Lumières : défense de la pluralité d’expression et des libertés individuelles. Il s’agit d’un combat toujours renouvelé dans ce qui peut être considéré comme un darwinisme philosophique, c’est-à-dire une pensée de l’évolution perpétuelle au sein d’une philosophie de la relativité (puisqu’on a à emprunter et à apprendre de toutes les civilisations, tout en inventant).

Dans ce contexte, que placer en premier point de l’activité de l’Etat en matière culturelle si ce n’est la défense de la diversité ? C’est sa tâche fondamentale, la plus noble. Mais pourquoi donc la « défendre » ? Parce que nous sommes arrivés dans l’ère du trop-plein, nous sommes submergés, de livres, de musiques, de spectacles, d’expos… Et, au lieu de favoriser l’innovation, cela favorise les « blockbusters » commerciaux et tue tout le reste comme une production fictive. Cela contribue à l’uniformisation dévalorisée, au brouillage des repères. Dans un tel contexte de surproduction, aucune création originale n’a aucune chance, ou presque, de se faire remarquer. Quel honnête citoyen, quelle libraire, quel critique peut s’y retrouver dans 600 à 700 romans de rentrée ?

Ce n’est pas de la démocratisation culturelle, c’est du matraquage industriel, du plus petit dénominateur commun, de l’acculturation par le bas.

Il importe donc d’aider des structures de valorisation intermédiaires sur la base large des faits culturels (y associant, par exemple, la gastronomie et le patrimoine immatériel). La conception générale doit être un maillage du territoire par des institutions-référence soit thématiques (théâtre, cinéma, édition, musée et expositions, musique, artisanat, danse…), soit polyvalentes. A chacune de ces structures choisies en concertation avec les élus locaux de travailler en réseau et d’offrir une visibilité à tout ce qui émerge et à toutes les expressions singulières à défendre. C’est pourquoi il faudra dans chacune avoir deux commissions renouvelées tous les 2-3 ans : une commission de professionnels et une commission de citoyennes et de citoyens tirés au sort. Ainsi des bancs d’essai divers donneront leur chance à tous les types de créateurs.

Ensuite, il faut des relais. Nous y reviendrons dans la dernière partie sur les nouveaux vecteurs, ce qui fait image. Il importe en effet aujourd’hui de structurer l’offre de l’Etat dans ce domaine, de manière à ce que l’Etat soit un passeur, qu’il aide à faire connaître les initiatives locales, qu’il les porte au national, au continental, au mondial. A l’ère d’Internet, les raisonnements doivent tenir compte de publics concentriques : locaux, nationaux, continentaux, linguistiques (la francophonie et d’autres aires linguistiques), mondiaux.

Enfin, il faut des repères, répétons-le. Aujourd’hui où tout se brouille sur le même écran (civilisations, périodes de création, types de création), jamais le discours pédagogique n’a été aussi faible dans la société. La boussole pédagogique, dont nous avons parlé, est nécessaire à tout âge. Alors que tout s’ouvre à une formidable diversité des expressions culturelles, il faut identifier et apprendre à apprécier des formes très différentes : l’opéra ou le catch. C’est pourquoi d’ailleurs les grandes barrières disciplinaires sont souvent obsolètes, que la longue durée est indispensable ainsi que des approches stratifiées du local au planétaire. Il faudra en tirer des conséquences en faisant travailler étroitement ensemble un ministère des cultures fournissant ressources et programmes avec un ministère de l’éducation qui comprenne aussi bien enseignement supérieur et recherche, jeunesse et sports, enseignement tout au long de la vie (notamment les universités populaires ou universités du 3e âge).

Dès à présent, l’apprentissage des grands repères de l’histoire mondiale de la production visuelle humaine ou ceux de l’histoire planétaire des musiques –tous deux soutenus par tant de productions pédagogiques des établissements culturels ou des associations-- doit pouvoir être enseigné dès le plus jeune âge. Il importe en effet de disposer d’un cadre de compréhension avant de recevoir des initiations. Nous marchons sur la tête lorsque nous voulons instituer des pratiques culturelles avant les connaissances culturelles. Nous ajoutons la confusion à la confusion et –osons le dire— diffusons des illusions.

Faire croire à des millions d’enfants qu’ils seront des créateurs ou à 60 millions de Françaises et de Français que leur danse ou leurs poteries sont admirables est un leurre et une source de frustrations. La pratique créative est une chose passionnante, source d’épanouissement à tout âge. Elle doit s’inscrire dans un cadre où l’on a des modèles d’excellence, où l’on comprend la difficulté de l’acte créateur (qui n’est pas juste une question d’excellence technique), où des repères permettent de situer les créations, dans le temps, l’espace, les typologies. Cela permet aussi lors des initiations aux consommations culturelles (visites d’expositions et de musées, concerts, théâtre…) de les apprécier parce qu’on sait les situer.

La perte des repères institue une fausse démocratisation car chacune et chacun peut se bercer d’illusions à l’ère des loisirs. Pour rompre avec ce système hypocrite, il faut alors –répétons-le-- développer la connaissance et instituer des systèmes intermédiaires de sélection et de valorisation, en jouant sur une pluralité de regards avec des jurys de professionnels et des jurys de citoyens tirés au sort.

Il est urgent dans ce domaine de mieux employer l’argent public sur des objectifs clairs pour des politiques durables et efficaces, loin de vains saupoudrages sans ligne directrice. Il est temps aussi de considérer le formidable atout que sont les initiatives privées, les associations, le bénévolat, facteurs de conjugaison des générations, plus-value collective.

Soutenir patrimoines, tourisme et industries culturelles : un ministère d’expertises

Sous prétexte qu’il s’agit de culture, la question économique est souvent passée sous silence. Comme si une pudeur insigne interdisait de parler d’argent. Pourtant l’Etat accorde de fortes subventions. Il doit continuer à le faire, que ce soit pour des structures non-rentables ou des structures rentables.

Si la culture –comme l’éducation—n’a pas de devoir de rentabilité économique, il n’y a aucune honte à ce qu’elle dégage des profits à côté d’activités de service public –profits qui participent à leur financement. L’argent généré n’est pas « sale », ni honteux. Il est utile. Dans l’organisation des entreprises culturelles, trois fonctions se distinguent : l’activité (ou les activités pour les structures polyvalentes) « cœur de cible » ; la direction générale culturelle ; les activités administratives, commerciales et de recherche de mécénat ou partenariat. Cette dernière catégorie doit se développer dans tous les établissements « tête de pont », « repère d’excellence », « animateur de réseau », quelle qu’en soit la nature (polyvalent, théâtre, musée, cinéma, opéra…) : commercialisation des espaces, merchandising, restauration, vente de services… A cette fin, des spécialistes doivent être engagés dans toutes ces institutions, avec des objectifs clairs.

De plus, en temps d’argent rare, il faut bien penser –répétons-le-- le maillage des territoires (France et outre-mer), à la fois pour éviter la désertification culturelle et aussi pour éviter des redondances préjudiciables et coûteuses. Cela conduira à penser le tissu d’ensemble en réseau et à faire porter les efforts prioritaires vers les régions ou à cesser de suréquiper Paris sans songer à l’Ile-de-France, fort bassin de population. La concertation locale doit présider à ce travail, en tranchant en cas de différent insoluble. Le but n’est pas de faire fermer des structures mais de favoriser les structures pilotes qui irriguent ensuite tout le tissu local, qui relaient et donnent visibilité aux initiatives.

Il importe également de repenser nos rapports au patrimoine. Désormais, heureusement, il a été élargi, notamment avec le patrimoine industriel, le patrimoine naturel, le patrimoine immatériel. Mais nous ne pouvons entrer dans une société disneylandisée où tout est restauré, reconstruit artificiellement. Ou alors où tout est figé au détriment des humains, devenus des acteurs dans des parcs. D’autant que souvent ces dépenses très lourdes sont décidées par des personnes qui sont juges et partie.

Il faut arrêter la gabegie, permettre aussi l’innovation, et mettre en place des commissions totalement indépendantes qui n’hésitent pas à laisser des ruines en ruines (comme les célébrait Hubert Robert) et interdire des restaurations quand il n’y a pas péril en la demeure pour garder des tissus ou des peintures d’origine.

Et puis, il faut encourager l’initiative associative, les mobilisations locales, à condition qu’elles soient conseillées par des spécialistes. C’est pourquoi les châteaux et domaines restés dans les familles ou acquis avec un souci de pérennisation, qui –on le sait—sont source de tant de travaux indispensables doivent être protégés dans la mesure où ils s’ouvrent à la visibilité publique.

D’autant que le patrimoine au sens large –pas seulement les bâtiments, mais les coutumes, les savoir-faire—est un étendard et une fierté pour une région. Quoi qu’on en dise, le bâtiment de Franck Gehry –même s’il était un peu « soucoupe volante » dans cette ville industrielle sinistrée-- a fait parler de Bilbao, comme Laguiole est célèbre par son savoir-faire coutelier ou Carhaix avec son festival de musique (« Les vieilles charrues »). Les cultures –au sens large—font signe. Sur une planète globalisée, ce sont ces spécificités anciennes ou à inventer qui « tirent » les images locales. Elles « tirent » aussi l’économie, les entreprises. Elles favorisent le tourisme.

La mise en valeur de ces fiertés locales défend la diversité, fait image, mais surtout a un impact économique indéniable. Voilà pourquoi il faut intégrer le tourisme à la culture, car il est une conséquence directe du patrimoine, son volet économique. L’aménagement des territoires se mène dans des concertations où tous ces aspects sont nécessairement liés. Il favorise le lien social autour de valeurs communes à préserver et à créer. Culture et entreprises peuvent ainsi se réconcilier en comprenant que les entreprises sont, dans certains cas, des marques culturelles fortes et que les cultures sont sources d’identification et de visibilité importantes pour les firmes.

Parallèlement, des industries culturelles privées existent bien sûr. Elles touchent à des domaines divers : cinéma, édition, télévision, jeux vidéos… Beaucoup sont en crise aujourd’hui. Le rôle de l’Etat n’est pas de les racheter ou de les faire vivre artificiellement. Néanmoins, il importe d’être très attentif à ce tissu précieux. Rappelons les incidences du passage de la domination française sur la production cinématographique internationale avec Pathé et Gaumont (premières compagnies planétaires avant 1914) à une suprématie des Etats-Unis (Hollywood) à la faveur de la Première Guerre mondiale. Cela fut un moteur pour toutes les industries d’outre-Atlantique et l’American Way of Life.

Deux règles doivent guider à cet égard la puissance publique : la défense de la diversité et l’aide aux investissements d’avenir. La défense de la diversité –sur laquelle nous avons insisté-- incite à soutenir des institutions déficitaires parce que l’Etat considère qu’elles correspondent à une forme de « trésor national » : préserver un club de jazz historique ou le savoir-faire d’une entreprise de porcelaine. Cela touche également les médias : journaux, magazines ou sites internet considérés comme indispensables à l’expression politique ou culturelle. Des commissions indépendantes renouvelées tous les 3 ans doivent piloter les décisions avec la possibilité pour le ministre d’intervenir en urgence.

Il en est de même pour les investissements d’avenir. Les banques ne jouent pas toujours leur rôle et il faut pouvoir soutenir ce qui se développe, non pas dans un système de financements chroniques de longue durée pouvant devenir pervers, mais sous forme d’aides ponctuelles au développement.

A l’Etat aussi de labelliser (dans des accords internationaux) les pratiques éthiques au sein des entreprises et dans leurs actions avec les fournisseurs. A l’Etat d’inciter aux bonnes pratiques environnementales. A l’Etat de faire comprendre les responsabilités insignes des fanaux culturels et économiques de chaque région, que des pratiques d’un autre temps risquent de faire disparaître à cause de la condamnation médiatique des consommateurs-acteurs. A l’Etat, de balayer devant sa porte en supprimant les tâches dégradantes (gardien de musée) pour les faire évoluer vers de la polyvalence. A l’Etat de créer des labels « Patrimoine culturel écologique », qui concernent les bâtiments, le fonctionnement, les rapports aux publics et l’éthique.

La culture n’est donc pas l’ennemie de l’économie. Elle serait même un soutien indispensable et une défense de l’économie. Elle fait signal. Elle fait marque. Elle fait image.

Faire image pour porter le local vers le mondial : un ministère de passeurs

De la même manière que beaucoup n’ont pas encore perçu véritablement les urgences écologiques obligeant à des réponses concertées et à une planète solidaire (le climat mais aussi les pollutions massives, la question énergétique…), beaucoup ne comprennent nullement que nous sommes entrés dans un basculement médiatique, un changement d’ère aux conséquences multiples. Je l’ai qualifié dans un ouvrage de « guerre mondiale médiatique » --car l’information devient l’arme la plus redoutable-- et ai analysé dans un film le passage de la « société du spectacle » --telle que définie par Guy Debord à l’ère de la télévision-- aux « sociétés des spectateurs-acteurs » en réseaux.

Alors, deux grandes questions en suspens émergent : l’actuel sous-emploi des possibilités d’Internet minimisant l’apparition de structures diversifiées de production ; la nécessité de pôles de médiation intermédiaire variées. Chaque site ou blog Internet s’adresse en théorie à la communauté des humains. Or beaucoup servent à un petit réseau d’amis. Pour ce qui relève des institutions de toute nature, Internet est encore considéré comme une vitrine marginale. C’est oublier que les publics potentiels en ligne sont beaucoup plus considérables que ceux in situ. L’investissement du virtuel reste dérisoire comme ses utilisations pratiques, éducatives, de diffusion culturelle à tout âge. Les pouvoirs publics n’ont pas encore pris conscience de cette nouvelle ubiquité nécessaire : des acticité de terrain et des activités diffusées. Cela suppose de s’adresser résolument aux nouveaux consommateurs induits : sa communauté, l’espace linguistique (la francophonie), la planète (nous traduisons très peu).

Disons-le, nous sommes seulement à l’aube des possibilités générées par ce système. Mais le grand danger en fait est l’appauvrissement des contenus, paradoxalement. Plus il y a de choses, moins on peut en regarder et plus chacune et chacun se retrouvent sur les mêmes vecteurs basiques. L’abondance n’est pas le choix et la liberté se gagne par le volontarisme. Voilà pourquoi l’initiative d’Etat reste indispensable.

Elle doit encourager à développer des vecteurs d’information variés, rendant compte d’une action associative, de la vie d’un immeuble, d’un quartier, d’une entreprise. Les institutions, elles aussi, doivent rentrer dans des phases structurées de production pour le Net. Elles deviennent toutes multimédia, avec une imbrication des métiers. Elles interviennent dans le domaine des loisirs comme dans le domaine éducatif. L’organisation des contenus en réseau par complémentarité, la défense de la diversité, la validation et l’expertise se révèlent essentielles. Les citoyens ont besoin de la part des médias intermédiaires d’enquêtes, de tri, d’apports d’éléments de connaissance. Ces médias intermédiaires sont privés et publics. Du côté de la puissance publique, elle doit relayer la production des pôles d’excellence mais aussi faire déboucher et rendre visibles les invisibles, beaucoup de ces micro-productions ignorées, fragiles, en développement. Pour ce faire, là encore, il convient de mettre en place des commissions renouvelées indépendantes.

C’est donc à un big bang des contenus qu’il faut s’atteler. Soutien du privé et pôles de référence regroupés du public.

La place du savoir et de la création dans nos sociétés est en effet indigne. Et très spécifiquement à la télévision. La visibilité télévisuelle est en effet réservée aux sportifs, acteurs, hommes politiques et journalistes. Sont-ce là les seuls modèles pour notre jeunesse et pour l’ensemble de la population ? Où sont les savants, les pédagogues, les créateurs ? Il est urgent de réformer le service public télévisé et d’entraîner les médias vers des pratiques qui ne tiennent pas seulement au « news market » (emballer les nouvelles de scandale pour les vendre) ou aux singeries provocatrices sur les mœurs et la violence, mais à une vraie variété de l’offre et au travail d’enquêtes et de clarifications par des spécialistes (souvent contradictoires).

Perpétuer le financement d’un service public télévisé en partie par l’impôt pour avoir des programmes fabriqués par des sociétés privées et copiant les télévisions privées est un vol caractérisé. Si une transformation radicale n’est pas opérée, mieux vaut entrer dans une privatisation intégrale et refonder un canal public qui relaie les programmes publics et le tissu des initiatives privées innovantes. De toute façon, un portail est nécessaire désormais pour faciliter la visibilité générale de l’offre --surtout pas pour étatiser la culture mais pour relayer, passer, regrouper, rendre visible.

Pour ce qui concerne la presse, en dehors de la dimension très spécialisée ou de pur divertissement, l’évolution va vers des groupes multimedia qui sauront apporter de la profondeur à l’information brute (que chacun peut obtenir en temps quasi immédiat). De même pour la radio. Pour la télévision en voie d’explosion –car les webtv se multiplient avec des pratiques de zapping et de consommation à la carte—, le maintien d’un service public n’a de sens que si s’opère l’inverse des années 1960 (où, grossièrement, le pouvoir gaulliste contrôlait l’information et l’obédience communiste les programmes).

Aujourd’hui, l’information doit être totalement indépendante, probablement avec des partenariats médiatiques associant tous les médias et toutes les tendances politiques, car l’indépendance se gagne grâce à la diversité des intervenants et elle seule. Du côté des programmes en revanche, il est inadmissible que l’argent de la redevance serve à singer le privé en nourrissant des producteurs privés. Il faut repenser le système, mettre en place un cahier des charges strict et directif, laisser le temps aux émissions de s’installer. Il faut inventer des formules suivant les chaînes : généraliste sur France 2 avec une dimension nationale et internationale ; vraiment tourné vers le local sur France 3 ; vraiment éducatif sur France 5 (aidant --en partenariat avec les institutions culturelles-- à mettre en place la « boussole » éducative à tout âge depuis la petite enfance, favorisant l’acquisition de repères, travaillant avec les pôles d’excellence culturels) ; culturel international sur Arte ; vraiment planétaire pour France 24 et thématisé pour les autres chaînes. De toute façon, là aussi, les multidiffusions par le Net, l’imbrication des vecteurs, joueront à plein et obligeront à des passerelles naturelles. Mais c’est un réveil du service public qui doit s’opérer, lié aux institutions culturelles et à l’éducation, relai des initiatives locales.

Tout cela participe d’une pensée innovante sur les modules de programmes qui circulent. La production locale (hexagone et outre-mer, même amateur, se démultipliant). Les institutions fournissent des programmes culturels et éducatifs, des repères, des ressources. Les chaînes de télévision, au sens traditionnel, en pleine mutation, se doublent d’une offre démultipliée sur le Net. Elles relaient une sélection des productions individuelles, locales, ou planétaires. Ainsi, France 2 agrège des modules locaux, francophones et internationaux. Ainsi, France 3 est un vrai relai d’initiatives locales et d’échanges entre ces initiatives locales. Ainsi, France 24 fait émerger les expressions francophones, parle dans des langues planétaires et aide des langues minoritaires. Ainsi, Arte s’ouvre à la notion relative de cultures planétaires pour la connaissance et le respect de la diversité des modes de vie, leur défense et celle de l’innovation.

Voilà comment peuvent se mettre en place des structures de valorisation culturelle. Elles sont désormais indispensables à la fois pour stimuler les initiatives et pour défendre la diversité par des propositions variées au public. Elles permettent à la France de tenir une place précieuse dans le monde concurrentiel de l’offre à distance.

Alors, au niveau local, les institutions doivent se concerter pour faire des offres complémentaires relayées par des DRAC partenaires des collectivités, liant la culture, le divertissement, la pédagogie. Elles feront ainsi image pour toute leur région. Au niveau national (en n’oubliant jamais les outre-mer), il importe de passer, de relayer le local vers le mondial et aussi de servir de passeur au mondial –spécifiquement aux expressions singulières, minoritaires, qui en ont besoin—pour atteindre notre local. Il est bon que cela se fasse dans un espace francophone et, parallèlement, dans des espaces de langues multiples.

Tout cela se comprend dans des actions résolues d’exportation des savoirs, des savoir-faire, des cultures. Voilà pourquoi un ministère des cultures doit pouvoir dynamiser des organisations comme l’Institut français (renommé et repensé) pour un pays –le nôtre—qui exporte très mal ses cultures, ne sait pas traduire. Rassembler, faire travailler ensemble, donner une visibilité globale. L’exportation des entreprises fonctionne avec les images de marque locales et nationales. Les cultures et les savoir-faire sont les fleurons qui permettent la diffusion des produits. Ils doivent être portés par la volonté d’excellence, l’éthique, la durabilité et la défense de la diversité qui placent la France comme un exemple de défense de ses diversités internes et de défense des diversités planétaires dans un destin commun, donc comme un chantre des libertés et du respect réciproque.

Défense des libertés et des créations, soutien des industries, des lieux et des coutumes, aide à la diffusion interne et planétaire, défense partout des diversités dans un discours clair sur une planète relative, de respect réciproque, solidaire car consciente de vivre une aventure commune. Cette grande ambition ne nécessite pas juste de l’argent et ce sont sûrement les bonnes volontés individuelles qui sont les plus précieuses Il faut des idées, de l’allant, une répartition autre des crédits et des objectifs, la volonté d’associer tout le monde au lieu de rejeter les compétences. Il est temps d’avoir les idées claires sur le futur. Les cultures sont un atout indéniable pour nos territoires. C’est un message d’espoir local et mondial.

Trois impératifs pour redonner moral et fierté à tous les acteurs culturels, malgré les crises :

- respecter et valoriser les professionnels pour en refaire des modèles sociaux portant l’innovation

- démocratiser en donnant leurs chances aux multiples initiatives locales

- mieux répartir l’argent public dans la concertation pour dynamiser les réseaux structurants et mieux se servir des nouvelles technologies pour promouvoir culture et éducation

CULTURES DE TOUS
CULTURES POUR TOUS

Laurent Gervereau

Président du Réseau des musées de l’Europe

Président de l’Institut des Images


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07 : 09 : 11

La culture n'est pas honteuse !

Avalanche de réactions depuis mon article dans Le Monde daté 6 septembre 2011 (voir lemonde.fr) sur la nomination de Catherine Pégard à la direction du château de Versailles. Soutiens enthousiastes concernant la manière dont on traite les professionnels et aussi la place du savoir et de la culture dans nos sociétés.

Il faut faire déboucher cela vers une vision positive du savoir et de la culture, une vision où les professionnels ne sont pas vus comme des mendiants perpétuels et l'Etat comme un guichet. Une vision d'avenir pour une société où les citoyens deviennent des consommateurs acteurs, des spectateurs-acteurs.

La culture n'est ni honteuse, ni onéreuse, ni inutile. Nous basculons vers des nécessités inédites et des fonctionnements innovants.

TRILOGIE DE NECESSITES. La culture se fonde sur une défense de la diversité. Elle soutient des industries. Elle fait image.

Sur cette base que je développais jadis dans Le Monde, il faut repartir du local. Ce sont les activités locales --là où chacun peut intervenir, dans son univers visible-- qui sont la racine de tous les savoirs et de toutes les expressions, de toutes les libertés aussi. Alors, le nouveau rôle de l'Etat est d'aider à faire passer les expressions, de constituer des pôles d'excellence en réseau pour rationaliser et arrêter les déperditions, enfin de propager dans le monde matériellement et virtuellement. CONDUCTEUR D'ENERGIES DU LOCAL AU MONDIAL.

Hisser le local vers le mondial en aidant parallèlement au tri rétro-futuro: s'ouvrir sur tous les faits culturels, anciens et récents, les brasser tout en en faisant apprécier les spécificités. Donner des repères : la culture fait vendre et la culture fait comprendre aussi. Elle sert la boussole éducative.

Les deux grands impératifs dans notre ère de la relativité et de la guerre mondiale médiatique sont : défense de la diversité d'expressions et mise en valeur de repères. Il faudra peut-être organiser des "CULTURE PRIDE" pour l'affirmer.

N'ayons donc plus peur. Soyons fiers du savoir et de la création. Dynamisons les énergies. Sans argent ? En tout cas en pensant la répartition intelligente d'un argent raréfié mais en faisant appel aux formidables énergies autour de ces thèmes, dans ce qui peut permettre la conjugaison des générations. ECHANGES DE GENEROSITES. Réveillons enfin des énergies qui ne demandent qu'à s'exprimer et sont désespérées de la médiocrité, du mépris.

Devenons visibles.

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21 : 08 : 11

La crise ? 7 milliards de dupes...

from : www.see-socioecolo.com (many thanks)

LA CRISE ?

7 MILLIARDS DE DUPES...



Qu’entend-on ? La crise, la crise, la crise. On entend cela en fait depuis 1973, soit presque 40 ans. N’y aurait-il pas duperie sur la nature de la crise ? Menace pour faire peur et réduire à l’impuissance, de manière à ne rien changer dans nos formidables injustices ? Les riches ne sont pas en crise. Des nomades ne sont pas en crise. Nous choisissons nos périls. LA VRAIE CRISE EST CELLE DE NOS CROYANCES ET DE NOS MODES DE VIE. Les sacrifices ? Voyons plutôt les gâchis, les aberrations, les passivités d’enfants gâtés dépressifs, les accumulations aberrantes de ressources. Choisissons nos modes de vie plutôt que de subir des consommations inutiles, la dictature de l’argent contre le don ou l’échange, l’isolement et l’esclavage mental.

Quelques-uns d’entre nous disent que nous allons être 7 milliards. Rien moins que cela ! 7 milliards d’exemplaires de l’espèce humaine. Au secours ! Nous sommes noyés par le nombre. Libres ? La question ne se pose même plus. LA DIVERSITE DIMINUE QUAND TOUT SE MULTIPLIE. Voilà une crise majeure.

Les agronomes pensent que ces 7 milliards peuvent être alimentés. Nous parlons aux 7 milliards. Comment allons-nous vivre ? 7 milliards d’esclaves ? Brrrrrr…

T’es tout ? T’es rien ? Ces 7 milliards –nous et nos langues-- sont tous issus de l’Afrique, d’où « homo sapiens » aurait essaimé voici quelques 60 000 ans. Ce n’est pas très ancien. Dans leur prétention, certains ont imaginé et imaginent remodeler la planète suivant leurs volontés et le « progrès ». Quelle vanité. Un grand hôpital pour 7 milliards de patients consommateurs passifs ?

Nous constatons enfin que les choses sont relatives et que la satisfaction individuelle d’un Wayana en forêt, d’une New-Yorkaise riche ou d’une Berlinoise pauvre sont des notions très complexes, mettant en jeu l’individu et son environnement. LE TEMPS DES CONSOMMATEURS-ACTEURS EST VENU, de l’abolition des barrières entre travail et loisirs, de l’orientation de sa consommation et de son utilité sociale. Le temps aussi d’une conjugaison des générations dans un vrai débat ouvert sur les notions de durée, de qualité, de choix de sa fin quand cela est possible.

D’où notre premier appel à un grand TRI RETRO-FUTURO. Où que nous soyons, réfléchissons à notre environnement, à ce que nous voulons garder, ce que nous voulons jeter, ce que nous voulons transformer. Ce tri se fait au niveau local et se fait savoir au niveau planétaire dans un grand débat mondial.

Ce tri participe également d’une réflexion globale sur le devenir matériel et spirituel de la planète. Les pollutions, l’extinction des énergies fossiles et la destruction physique et culturelle de régions entières, sont des questions de survie commune. L’obsolescence, la surconsommation, la multiplication de produits inutiles également.

Il est temps de clamer l’unicité de la condition terrienne quand les catastrophes se propagent d’un continent à l’autre. Il est temps aussi de comprendre l’absence de modèle unique quand l’Europe ou les Etats-Unis semblent en régression dans des crises successives avec ces empires spéculatifs (ou pas). L’injustice, la destruction de l’environnement et les dépressions généralisées condamnent ce modèle. IL EST TEMPS DE TOUT REMETTRE A PLAT. L’obligation de la preuve s’est inversée : c’est à cette civilisation industrielle de prouver son efficacité réelle, sa pertinence pour le plaisir et la sérénité des habitants. Pas l’inverse. Et l’Inde ou la Chine ne peuvent sombrer dans les mêmes erreurs niant leurs cultures

Il est nécessaire en fait d’encourager à des cultures et des modes de vie variés, à des croissances diversifiées. On ne veut pas vivre de façon identique à Shangaï, Paris, Bamako ou chez les Aborigènes du Nord australien. La grande leçon de l’évolution est celle-là : la perfection est illusoire et mortifère, l’arrêt de l’histoire, un mensonge criminel. Il est temps de comprendre que si chacun peut choisir son interprétation du monde philosophiquement ou religieusement, PERSONNE NE PEUT IMPOSER UNE VISION UNIQUE ET UNIFORME, quand bien même ce serait sous l’angle de l’hygiénisme, du supposé intérêt individuel commun. Il n’est d’ailleurs pas souhaitable que cette vision s’impose, car les marges, les erreurs, les anormalités, ont toujours nourri ou sauvé la pensée majoritaire. C’est donc une pensée plurielle, évolutionniste, que nous appelons. Elle accompagne et modèle un monde en transformations : plurofuturo. Cela bannit le dogme figé, exclusif, fondé sur des rites (religieux ou laïques) : monorétro. Du moins un dogme imposé à tous.

Une telle conception organique d’un mouvement semblable à la vie terrestre –qui en est la poésie—conduit à des attitudes de fatalisme dynamique. Fatalisme, car statistiquement la catastrophe est aussi probable que l’événement heureux. Dynamique, car la caractéristique et la noblesse des actions humaines consistent dans son mouvement, qu’il soit pour construire ou pour vivre en sociétés. Ce mouvement s’aide de l’étude critique du monde. Ecologique : il considère le devenir des humains au sein de leur environnement. Social : il songe à des boussoles éducatives utiles à chaque enfant pour savoir cet environnement et choisir ses comportements, à chaque adulte afin de s’orienter. Il est un combat constant pour la justice, non pour l’égalité mais pour l’égalité des chances et surtout la diversité. LA VIE TERRESTRE N’A PAS BESOIN DE CLONES MULTIPLIES MAIS DE LA COMPLEMENTARITE DES ESPECES ET DES EXEMPLAIRES SINGULIERS.

Ainsi, l’enjeu est de combiner des objectifs communs minimaux et évolutifs de survie avec de multiples déclinaisons de comportements. PAS DE PLANETE NORMALISEE ; MAIS PAS DE REALITES EMIETTEES, SANS LIEN NON PLUS. Partout, les frontières n’ont aucun sens à l’heure de nos identités imbriquées. Partout, elles pourraient d’ailleurs se subdiviser dangereusement en autant de communautarismes différents. Nous le voyons en Chine, en Inde, en Syrie, en Egypte comme en France (communautés religieuses ou régionales –Bretons, Basques, Alsaciens…). Le bon niveau est local et expérimental. Il doit s’inscrire dans des préoccupations mondiales avec des solidarités actives autour d’un pacte humain évolutif : LOCAL-GLOBAL.

Dans ce cadre, arrêtons la sale tendance du mépris du savoir et de la création, tendance uniquement destinée à manipuler des foules ignorantes et captives, acculturées. Il faut réévaluer l’exigence et la valeur des connaissances, de l’éducation au long de la vie, de la curiosité. Il faut cesser de détruire des savoirs traditionnels utiles pour comprendre son environnement et son histoire. Ainsi, nous avons besoin partout de connaître l’histoire locale depuis les temps les plus anciens, dans le cadre des grandes évolutions planétaires : histoire stratifiée. Cela est vrai également pour la/les musiques ou la production visuelle humaine. Le comparatisme est une dynamique essentielle de la pensée. Mathématiques, physique, chimie, économie, restent, dans ce cadre, des outils mais aussi des objets de débats.

En forêt tropicale, nous apprenons la flore et la faune et le climat et la géographie et la médecine avec les ressources locales. Partout, nous devenons des SPECTATEURS-ACTEURS, transmettant nos envies et nos colères, notre quotidien et nos visions du monde. C’est à un GRAND BIG-BANG PACIFIQUE de nos comportements individuels et collectifs que nous appelons. Une conscience solidaire et multiple des vivre-en-commun.

Continuons l’aventure humaine dans nos espaces en transformations. Restons passionnés et exigeants, liés entre nous et misanthropes, philosophes de la relativité ouverts à toutes les autres conceptions du monde --qui ne soient pas exclusives et dominatrices, prosélytes et arrêtées. Egoïstes intelligents, qui comprenons que notre épanouissement se multiplie avec celui des autres.

PESSIMISTES ACTIFS. L’ère des « homo diversus » arrive. Ils ne seront jamais sages. Puissent-ils échapper aux périls.

Heloisa, Mitiarjuk, Laurent

(www.see-socioecolo.com)

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24 : 07 : 11

Donner des débouchés aux "populismes"

image : chercher des châteaux en Espagne hors d'Espagne

Lisant un article dans Le Monde en juillet 2011 sur les "populismes", je fus atterré par le peu de propositions en regard. Et c’est bien parce qu’il existe des milliers d'auteurs à la pensée pleine de bons sentiments démocratiques mais aux imaginations essoufflées, que les populismes progressent. Ces derniers sont en effet le palliatif grotesque d’une offre politique sans vraies alternatives. Faut-il pour autant leur laisser le terrain libre, alors que des millions de « sans opinion » se sentent mis à l’écart simplement à cause de l’impossibilité de les classer ?

D’abord, traiter avec mépris les « populismes », c’est refuser d’en comprendre les causes. Elles sont de deux ordres à mon sens : la perte de pertinence du niveau national d’un côté et les injustices économiques croissantes de l’autre. Ces deux tendances nourrissent un populisme d’extrême-droite et un populisme d’extrême-gauche. Ils se rejoignent dans le rejet violent des milieux politico-médiatiques-affairistes, vus comme connivents, amoraux, mafieux dans leurs comportements.

Mais les traiter avec mépris de « populismes », sans avoir rien de neuf à proposer et sans répondre à leurs angoisses légitimes et à leurs révoltes, c’est ne rien comprendre au malaise d’une très grande partie de la société qui a besoin de se retrouver dans des buts et des valeurs. Les crises successives du capitalisme spéculatif déstabilisent la droite. L’incapacité à imaginer des sociétés du futur sorties de la lutte des classes et de la pollution généralisée de la planète, paralyse une gauche pragmatique sans prospective (gérer la crise ?).

Alors, au lieu d’accueillir les propositions différentes comme d’heureux moyens de redynamiser les modèles du vivre en commun, elles sont traitées d’utopiques, d’irréalistes et passées sous silence. Mais n’est-il pas temps d’inverser la charge de la preuve ? Le communisme d’Etat a montré paralysie et crimes. Le fascisme et le nazisme aussi. Aujourd’hui, les démocraties sont essoufflées car elles échouent économiquement dans un système spéculatif pathogène et une crise de la représentativité et de la liberté d’expression.

La défunte télévision en est l’expression : une multiplication des canaux pour une réduction de la diversité des programmes et des idées. La représentation nationale est sociologiquement restreinte. Le référendum est absent. Les sondages triomphent, alors qu’on en sait la relativité. Le « politically correct », sous l’influence de groupes de pression divers, nuit en France gravement à la liberté d’expression et fait passer racistes et réactionnaires comme courageux.

Quelles pistes alternatives ? D’abord, il importe de cesser de prendre des vessies pour des lanternes. Même s’il est facile d’aller raconter à une partie vieillissante de l’électorat que fermer les frontières est la solution, en jetant par exemple à la porte quelques milliers de Roms, qui y croit vraiment ? Une France autarcique ? De l’autre côté de l’échiquier politique, allons-nous, seuls, nationaliser massivement ? Quitter l’Europe ? Pour quels résultats ? Qui a de la mémoire frémit : ne méprisons jamais les échanges et les économies qui nous unissent, ne nous habituons pas à la paix quand il est si facile de détruire ce que des siècles ont construit.

Mais ouvrons les yeux. Les deux niveaux essentiels aujourd’hui sont le local et le global. Le local, ce qui nous entoure, ce sur quoi nous avons prise, notre univers directement visible, est la vraie dimension à réinvestir. Pour toutes les générations. Nous avons des capacités d’intervenir pratiquement, directement, en devenant des consommateurs-acteurs et des travailleurs-citoyens (dans le public ou le privé). Pour multiplier les gestes associatifs, les coopératives et le mutualisme, imposer des entreprises éthiques, pas besoin de sang, de révolution, ni même d’élections. Il suffit de décider et de propager des attitudes de consommation ciblées sur la défense de la proximité et le choix éthique. Il suffit de faire et de faire-savoir en entrant pleinement dans les sociétés des spectateurs-acteurs.

Pour le global, il faut comprendre une Terre en réseau où personne ne détient la vérité. Cessons, nous Européens ou Nord-Américains, d’imposer au reste de la planète des modèles économiques et de mode de vie qui nous insupportent par beaucoup d’aspects. Nous avons sûrement autant à apprendre des Inuit, des Yaos ou des Wayanas en termes de pensée sur le monde, de micro-économies et de droit à la diversité. La relativité doit s’imposer dans les esprits. Et puis, nous avons à nous entendre collectivement pour des règles et des enjeux qui concernent notre survie collective, ou en tout cas notre « bien vivre » collectif.

Voilà ce en quoi l’écologie est passionnante. Si elle ne dérive pas vers des aspects sectaires ou religieux, il s’agit du moteur opportun pour repenser tous nos actes et nos manières de vivre dans des choix rétro-futuros. L’écologie doit ainsi rester scientifique et expérimentale. Elle a besoin pour ce faire d’intégrer un volet culturel, qui est celui –comme on préserve dans l’évolution l’environnement—de la préservation et de l’évolution de comportement variés : diversifier la diversité. Pas de monde figé et surtout pas d’uniformisation planétaire.

Voilà un « parler vrai » qui montre, je crois, notre contexte tel qu’il est, en indiquant des moyens simples de le faire évoluer et des buts clairs. Faut-il nommer politiquement ce qui concerne en fait des milliards d’individus ? Pas forcément. Les Brésiliens et les Canadiens ont qualifié ces modes de pensée de « socio-écolo-évolutionnistes ». D’autres parlent de « libertaires écologistes » (« liberecolos »), en pensant à la réévaluation des idées libertaires et utopistes du XIXe siècle mais dans une perspective de relativité des idées avec des philosophies de tous les continents et la prise en compte des innovations collectives nécessaires à notre survie et notre bien-vivre.

La question dépasse les terminologies. Elle réside dans l’urgence à ce que ces idées prennent place dans le débat public, suscitent les imaginations, provoquent expérimentations et dialogues. Pourquoi laisser la seule place alternative à des révoltes stériles ? Sont-ce des pensées innovantes et courageuses ? Est-ce pour encourager la résignation ? Pour ma génération (celle d’après 1968, arrivée sur le marché du travail avec les effets de la crise pétrolière), qui n’a jamais entendu parler que de crises et de rigueur, il est vraiment temps d’envisager les choses autrement. Ce n’est pas un nationalisme racorni et réchauffé, un pragmatisme aquaboniste du « moindre mal » des scandales inégalitaires actuels ou des appels à des révolutions autoritaires dont on a vu les résultats, qui peuvent nous intéresser. Comme la jeunesse ou de vaillants aïeuls, nous voulons continuer, non seulement à ne pas accepter l’inacceptable, mais à agir sur notre univers.

Oui, décidément, il est vraiment temps d’inventer des solutions différentes, adaptées au monde d’aujourd’hui. Pas pour construire des sociétés idéales (fin de l’histoire à conséquences inhumaines), mais pour continuer ce que l’aventure terrienne a pu apporter de plus passionnant : terrible, fragile et fulgurante parfois. Une quête éternelle qui vaut par elle-même et non par son but volatil (Le Trésor de la Sierra Madre de B. Traven).

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20 : 07 : 11

Savoir admirer sans aduler

Voilà une chronique antidatée, parce que le livret GOUVERNER sort et doit éclipser mes états d'âme. Hier (9 décembre 2011), j'ai joué les midinettes : je suis allé au Centre Pompidou où Benoit Peeters avait invité Chris Ware. C'est bête, j'avais envie de rencontrer physiquement Chris Ware. Très convaincu par son importance, amateur de ses constructions-déconstructions comme un Winsor McKay à l'heure du logo, je voulais voir l'individu.

C'est toujours délicat car, que faire dans une ambiance de culte agglutiné ? Sur scène, chacun s'est évertué à lui adresser des gentillesses, le qualifiant de "génie absolu" de la bande dessinée, avec un "avant" et un "après" Ware. On aurait pu parler ainsi de Fred, de Druillet ou de Jean Giraud. Mais il faut toujours penser que le lointain est meilleur.

Bon, Chris Ware a  heureusement battu en brèche les grandes analyses. Il a reconnu ses propres dettes  visuelles. Il est parti pisser. Interminable échalas coincé de bourgeoisie provinciale (Chicago), d'une famille intellectuelle issue de la vieille Europe, tendance puritaine. Sur des membres un peu désarticulés, pose un long visage d'étudiant surplombé d'un gros crâne galactique, tendance James Joyce. Bref, un mutant concentré à l'humour cisaillant.

Il est sain cependant d'apprécier les travaux exceptionnels et je me méfie rien tant que des adorateurs d'eux-mêmes. Comme des fanatiques.  Alors, j'ai communié. Alors, j'ai acheté un album avec 5 tirages issus du New Yorker (revue mythique de Steig ou Steinberg) : "Thanksgiving". Et bêtement j'en ai tendu un dans la foule pour une signature fétichiste. On s'est aboyé deux mots. J'ai voulu lui indiquer que je travaillais sur les images, il n'a rien compris, et il y avait de la bousculade. Nous nous sommes regardé intensément. Il m'a  écrit  alors en pattes de mouche : "TO LAURENT", plus loin  au centre : "VERY BEST !", et à droite : "C. WARE 2011 A.D."

Il n'a rien à expliquer sur son travail. Il vaut mieux d'ailleurs qu'il n'explique rien (comme Picasso) et reste "at home", qu'il évite l'adulation néfaste et perturbatrice. Elle fait se prendre très au sérieux et "gèle" l'imagination, tel Robert Crumb désormais pop star habillé chic et faisant toujours les mêmes dessins.

Bref, j'ai fait ma groupie du moment. Le "VERY BEST !" me portera pendant l'année à venir, une année Ware, à cloisons multiples, où vagabonder. Déjà accrochée dans un cadre de chêne à une place qui l'espérait depuis toujours, cette image d'hiver nostalgique attend la neige avec Henry Purcell et du Bourbon sombre. 

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